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Le livre des mystère : chapitre 21

Chapitre 21 : Sanction est punition

Penaude, Célya baissa la tête pour fixer ses pieds. Elle avait bien besoin de se faire remarquer par ses professeurs, qui plus est par le Seigneur Rififi. Le Mage du Feu faisait parti des légendes vivantes de l'Académie, aussi bien pour son talent que pour ses colères spectaculaires aux conséquences fumantes qui lui avait valu le surnom de "La Rôtissoire ". L'impressionnant bonhomme se mit en marche aux côtés de la jeune fille qui se sentait encore plus minuscule .

- Nous étions en train de parler de vous jeune demoiselle, dit le Mage. Je ne vous connaissais pas et je dois dire que jusqu'à il y a cinq minutes, je n'étais pas convaincu par vos faits d'armes.

- Je m'en veux déjà, Seigneur, que vous m'ayez consacré du temps.

Rififi ne put retenir un éclat de rire : au moins, elle avait le sens de l'humour.

- Où allons-nous ? demanda Célya.

- Dans le bureau de Maître Archibald, le directeur est curieux d'entendre votre version de l'incident qui vient de se produire.

La jolie rousse sentit son sang se glacer dans ses veines : il était rarement de bon ton d'être convoqué chez le directeur, qui plus est après avoir manqué de faire griller la major de sa promotion, accessoirement Élue de la Prophétie... Tout ceci ajouté à ses médiocres résultats, Célya ne donnait pas cher de sa peau.

Tous deux gravirent le grand escalier menant d'abord aux chambres des étudiants, puis à certaines salles de classe et d'étude avant d'arriver à celui réservé aux professeurs. De là, ils remontèrent un couloir au parquet recouvert d'un épais tapis.

Au fur et à mesure qu'ils avançaient, Célya fut gagnée par un vague sentiment de malaise, comme si quelqu'un l'épiait. Jetant des coups d'œil à la dérobée, elle essaya de trouver d'où pouvait venir cet étrange sentiment. Et, ce qu'elle voyait autour d'elle ne lui donnait aucune information : le couloir ne proposait aucune ouverture, rien de particulier si ce n'est des tentures frappées du sceau de l'Académie. Rien n'expliquait ce qu'elle ressentait en ce moment.

Pressant le pas pour rattraper le Mage qui l'avait distancée de peu, elle finit par arriver au pied d'un escalier de bois en colimaçon; ses marches patinées craquaient allègrement sous le poids du Mage du Feu, ce qui prouvait qu'il avait dû voir passer des générations d'élèves et d'enseignants.

Plus elle approchait du bureau du vénérable directeur, plus Célya se posait de questions et sentait son estomac tanguer dangereusement : comment Maître Archibald allait-il réagir ? Ferait-il preuve de complaisance ou ne verrait-il que la fille qui avait blessé l'Elue ? Spontanément, elle s'était sentie en confiance avec le vieil homme mais, c'était le jour de son arrivée. Elle était une élève plus tout à fait novice, il pouvait avoir révisé son jugement la concernant... En particulier s'il prenait en compte ses résultats.

Le temps de ses réflexions, elle avait commencé à gravir les marches à la suite du Seigneur Rififi. A l'issue de la dernière marche on trouvait un long tapis d'un blanc immaculé. En fait, la jeune femme réalisa que tout était d'un blanc lumineux : le sol, les murs; un seul élément contrastait avec l'ensemble : les deux grandes portes de bois brun sur lequel étaient dessinées des runes et le coeur du symbole de l'Académie, un Sceptre de Sorcier. Une seule ombre réelle se détachait dans ce tableau : Marika.

La major de promotion était repassée par sa chambre pour se changer; néanmoins, la longueur de sa robe ne parvenait pas à masquer totalement les pansements sur l'une de ses jambes. Même si elle ne portait pas la brune dans son coeur, la jeune femme se sentit désolée : elle n'avait pas voulu la blesser.

Pour sa part, Marika eut à nouveau du mal à refouler sa colère en l'apercevant : comment la paysanne savait-elle faire des sorts de ce genre ? Elle qui s'entraînait depuis son plus jeune âge avec d'excellents professeurs n'avait pas la moindre idée de la raison pour laquelle elle n'était pas parvenue à maîtriser le sort de sa rivale. Et la chose, quand elle y repensait, l'obligeait à froncer ses délicats sourcils. Et, pour assombrir encore un peu plus son humeur, elle avait dû envoyer à repriser l'une de ses robes de cours. Sans mère allait être furieuse, même si sa couturière parviendrait à la rattraper. Enfin, pour couronner le tout, elle se retrouvait convoquée chez le directeur. Et pourquoi ? C'était elle la victime ! Enfin, si les choses se compliquaient pour elle, elle avait prévu une issue de secours. Dissimulant soudain une ébauche de sourire sous son chapeau, elle repassa dans son esprit l'idée qui lui était venue alors qu'elle se faisait soigner. Elle avait pris soin de joindre au colis qui venait de quitter l'Académie un courrier à l'adresse de son père : avec ce qu'elle avait raconté dedans, la paysanne serait chassée pour de bon de Paraphe et pour tout le temps.

Rififi et Célya arrivèrent à hauteur de la double porte. Sitôt fait, le Mage frappa trois coups. La porte s'ouvrit sans le moindre bruit et, le petit groupe pénétra dans le bureau du directeur de l'Académie.

Les deux jeune filles ouvrirent de grands yeux ébahis : le bureau était immense, à tel point qu'il donnait l'impression d'occuper tout le dernier étage du bâtiment principal. Partout où se posait le regard, on ne voyait que étagères croulant sous les livres et des objets divers et variés. Tout semblait ancien et précieux, à commencer par le somptueux tapis sur lequel elles marchaient. Célya sentit son coeur se serrer : parmi tout ce qui se trouvait dans la pièce, il y avait peut-être quelque chose susceptible de l'aider à contrôler ses pouvoirs. Elle mit fin à ses réflexions quand elle remarqua la présence du vieil homme assis derrière l'immense bureau.

Archibald observait le petit groupe depuis qu'il avait franchit les portes de son office. Il se dit que les deux jeunes filles qui avançaient côte à côte ne pouvaient être plus dissemblables : la brune et la rousse, la fille de bonne famille et celle de simple extraction, la bonne et la mauvaise élève...

- Celle promise à un grand destin et celle qui vivra avec des regrets, ajouta une voix musicale dans son esprit.

Archibald n'eut pas le temps de s'interroger que Rififi prit la parole :

- Maître, je viens vous voir afin que nous tirions au clair l'incident qui vient de se produire.

Sous le regard pénétrant du vénérable sorcier, Célya se sentait toute petite ; Marika avait perdu de sa superbe.

- Je vous écoute, jeunes filles. J'aimerais comprendre ce qui s'est passé au réfectoire, dit Maître Archibald en s'enfonçant dans son fauteuil.

Comme Célya gardait la bouche fermée, Marika décida de prendre la parole. Après tout, la meilleure des défenses était l'attaque.

- Comme je sais que Célya n'est pas très douée en classe, j'ai voulu venir la réconforter en ce jour de Conseil de Classe. Je lui ai même offert un joli présent ! En remerciement, elle m'a agressée et m'a blessée. Moi qui ne cherche qu'à être son amie.

La belle brune crut bon de rajouter une pointe dramatique en feignant d'essuyer une larme. Dans son coin, Célya étouffait : en plus d'être mauvaise, elle avait un vrai talent d'actrice.

Archibald lança un regard en coin à son vieil ami : il peinait à croire à la version de la jeune femme.

- Et vous Célya, que pouvez-vous nous dire ?

La jolie rousse avait la gorge sèche : la fille de Trykéa face au plus grand sorcier de tous les temps, à un Mage et à l'Elue de la Prophétie. Ses chances étaient minces que l'on croit à sa version. Marika se tourna vers sa camarade : allait-elle avoir l'audace de donner une version différente de la sienne ? Baissant la tête, Célya décida d'utiliser la seule arme dont elle disposait : son honnêteté.

- Au petit déjeuner, Marika est venue me voir.

La major de promotion ne put retenir un sourire : au moins la paysanne aurait-elle compris à la fin qu'il lui fallait baisser l'échine devant les grandes familles de la capitale.

- Elle espérait que je profite bien de mon petit déjeuner car elle était convaincue que ce serait le dernier.

- Comment ça ? questionna le vénérable directeur en se redressant.

La brunette devint livide : la situation, comme ce matin, était en train de se lui glisser entre les mains.

- Comme l'a dit ma camarade, je ne suis pas très douée. Ça plus mon lieu de naissance, Marika m'a dit que vous n'attendriez pas trois Conseils de Classe pour me renvoyer et que je prendrais la porte dès ce soir. Tant qu'à l'écharpe, c'était pour que je n'attrape pas froid en rentrant dans ma campagne.

Marika voulut protester mais, elle eut l'intelligence de se taire en croisant le regard courroucé du Seigneur Rififi. Le Mage était outré de ce qu'il venait d'entendre, parfaitement indigne d'une Élue.

- Ensuite, poursuivit Célya. J'avoue m'être emportée; c'est là que j'ai lancé le sort, sans trop savoir comment j'ai fait d'ailleurs. Et, même si les apparences sont contre moi, je ne voulais pas blesser Marika.

Le Mage du Feu avait beau avoir la réputation d'être une montagne d'austérité, il se révélait touché par la franchise de la jeune fille rousse.

- Ce sont là deux versions bien différentes, avoua Archibald en appuyant ses mains l'une contre l'autre. J'aurais bien besoin d'éléments supplémentaires pour prendre ma décision en toute justesse.

- Je pense pouvoir vous aider, intervînt Rififi en se tournant vers les doubles portes. Avec votre permission.

Donnant son accord, le Mage du Feu appela :

- Aryl, tu peux entrer !

Marika lança un regard méchant à la Sixième Année quand elle passa à côté d'elle : elle ignorait ce que l'étudiante avait vu et surtout entendu. Et ça, ce n'était pas bon pour elle. Arrivée près du bureau, la potentielle future Mage du Feu s'inclina avec déférence.

- Vénérable Maître.

- Pouvez-vous nous apporter des éclaircissements ?

- Avec joie ! Je...

- Maître, je vous supplie de me croire, intervint brutalement la major des Première Année. Je suis innocente.

Yeux brillants et trémolos dans la voix, c'était encore une fois un si beau numéro d'art dramatique que Célya en aurait pleuré... De rire ! Enfin, si son sort ne se jouait dans la pièce.

- Je vous ferais remarquer, jeune fille, que pour le moment vous n'êtes coupable de rien, répondît posément Archibald. En revanche, votre attitude me pousse à croire que vous avez peut-être des choses à vous reprocher. Gardez donc ceci en mémoire : c'est bien souvent une preuve de sagesse que de savoir se taire.

La remarque eut pour effet de clouer le bec à la pimbêche. Aryl put poursuivre :

- J'ai bien entendu les deux filles se disputer, à propos de quoi, je ne sais pas.

Marika reprit constance: la situation n'était pas si désespérée.

- En revanche, j'ai bien entendu l'une des filles parler de renvoi et dire que le jour où le Mal se répondrait sur notre beau pays, elle pourrait oublier certains villages si l'on ne faisait pas preuve du plus de respect à son égard.

- Laquelle ? gronda Rififi.

Posant un long regard sur Marika, la Sixième Année ajouta :

- La brune, Seigneur.

Pour l'une des rares fois de sa vie, Marika aurait voulu disparaître dans un trou de souris plutôt que de sentir peser sur elle le regard des deux grands sorciers.

- Merci Aryl, tu peux te retirer.

Les deux filles attendirent dans un lourd silence, le temps que l'élève de Rififi quitte la pièce.

- Me concernant, murmura Archibald. J'ai maintenant une idée assez claire de ce qui s'est passé et je pense pouvoir rendre ma décision.

Se tournant vers Marika, il dit à son adresse :

- Vous concernant, Mademoiselle El'Sheena, vos résultats et votre statut d'Elue font qu'en lieu et place d'une lourde sanction disciplinaire, je ne joindrais qu'un blâme de comportement à votre dossier.

A l'énoncé de la sanction, la jeune femme s'offusqua.

- Puisse cette mésaventure vous aider à vous souvenir qu'entre ces murs, un nom de famille prestigieux et de grands dons ne sont que peu de choses. Le pouvoir n'est rien sans des qualités d'âme et de coeur. Sur ces points, je vous invite à prendre exemple sur votre camarade.

Et, comme s'il lisait les pensées de la jeune femme, il ajouta :

- Et je suis prêt à en discuter avec votre père quand il le souhaitera. Vous pouvez vous retirer.

Tremblante de rage, Marika inclina la tête avant de quitter le bureau du directeur. Elle regagna sa chambre dans une colère noire.

- Marika, tout va bien ? Lui demanda une blonde maigrelette qui faisait parti de sa cohorte d'admiratrices.

- Tais-toi idiote ! L'invectiva la major de promotion.

Cette dernière claqua la porte de sa chambre avant de congédier sa domestique sans cérémonie. S'asseyant sur son lit, la jeune femme se fit le serment de se venger au centuple de cet affront.

- "Prendre exemple sur votre camarade", railla la jeune femme. Plutôt mourir.

- Si c'est là ce que tu souhaites.

Marika sursauta : elle avait l'impression d'avoir entendu une voix sombre et aigre dans la pièce. Secouant la tête, la jeune femme se dit que la colère lui faisait entendre des voix.

Dans le bureau de Maître Archibald, Célya attendait que son sort soit scellé. Posant son regard sur la jolie rousse, le vénérable directeur lui dit d'une voix douce :

- Votre honnêteté et votre droiture prouvent qu'il y a de la grandeur en vous, Célya Mel'hala. Rien que pour cela, vous méritez votre place parmi nous. En revanche, je me dois de sanctionner le fait que vous avez blessé l'une de vos camarades. J'attends aussi que vos notes aient progressé d'ici le prochain Conseil de Classe. Me suis-je bien fait comprendre ?

- Oui Maître.

La jeune fille sentit un poids disparaître de sa poitrine : la sanction était assez légère. En revanche, pour ce qui concernait ses résultats, là ce n'était pas gagné.

- Dès aujourd'hui, vous serez retenue une heure tous les soirs afin d'aider dame Farfalle à la bibliothèque. Et ce durant le prochain mois. Votre comportement comptera dans la levée de la sanction.

Archibald leva une de ses mains : aussitôt, une plume commença à danser sur un morceau de parchemin. Dans un dernier geste, le papier se plia et disparut.

- Dame Farfalle vient d'être prévenue de votre arrivée, je vous invite à aller vous présenter. Vous pouvez disposer.

Comme elle se retirait à son tour, Célya ne put s'empêcher de se tourner à demi pour dire au vieil homme :

- Merci Maître pour votre bonté et votre indulgence, je ne vous décevrai pas.

Derrière elle, la porte se referma doucement.

- "Indulgence", le mot est bien choisi, releva Rififi en prenant place face à son vieil ami. Je t'ai connu plus strict pour ce type de faute, même en Première Année.

- Crois-moi, cette petite fille a besoin plus que quiconque de notre aide. Elle a déjà suffisamment à faire avec la jeune Marika, l'accabler ne rendra service à personne.

- Elle n'a pas le profil de la puissante sorcière mais, il y a une telle générosité chez cette enfant; et, elle excelle déjà en cours de soins. Elle sera peut-être une très grande Guérisseuse.

- A nous de veiller à ce que son Destin, quel qu'il soit, se réalise.

Au fur et à mesure qu'elle s'éloignait de l'étage du directeur, Célya sentit son courage la quitter. Elle était épuisée par cette entrevue. Une simple retenue pendant un mois, ce n'était rien, rien du tout. Comme elle prenait la direction de la bibliothèque, une voix l'interpella :

- Célya !

Avant même de comprendre, Ly-Anne était dans ses bras, suivie de près par Oswald.

- Nous avons eu si peur pour toi après ton départ. Alors, que s'est-il passé ?

En substance, la jolie sorcière rousse leur raconta l'entretien. A la fin de son récit, Oswald commenta en sifflant :

- Tu t'en sors bien. Je crois que le directeur t'aime bien.

- Si c'est vrai, je voudrais bien savoir pourquoi.

- En revanche, nous ne serons pas trop de deux pour surveiller tes arrières, ajouta Ly-Anne. Notre grande Élue à sans doute très mal vécu ce moment, elle mettra tout en oeuvre pour te le faire payer.

- Et les Dieux seuls savent de quoi elle est capable. Nous y sommes.

Les trois amis étaient arrivés devant une grande porte blanche sur laquelle étaient gravés des livres.

- Je pense que nous y sommes, dit Oswald. Fais de ton mieux, tu nous raconteras plus tard.

Les deux jeunes gens s'éclipsèrent, laissant leur amie frapper à la porte.

- Entrez ! cria une voix bourrue.

Célya franchit le battant et, elle dut fermer les yeux tant elle fut éblouie par la lumière crue qui se déversait dans la bibliothèque. Quand elle se fut accoutumée, elle resta un instant sans bouger : la pièce était d'un blanc limpide, comme le couloir menant au bureau de Maître Archibald. A la différence que les murs étaient couverts d'étagères de toutes sortes.

En voyant la somme de livres accumulés sur les rayonnages, Célya ne put s'empêcher de sourire : elle n'était plus si sûre que la punition donnée par Maître Archibald soit à ce point un cadeau empoisonné. Qui sait, parmi les centaines de références, il y en avait peut-être une qui lui donnerait un peu plus en détail la clef de sa magie.

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