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Le livre des mystères : chapitre 20


Chapitre 19 : Un mois après

"Ma chérie, merci pour ta lettre! Ton père et moi sommes rassurés de savoir que tout va bien pour toi et que tu t'es fait de nouveaux amis. Et comment se passent tes cours ? Bien j'imagine. Je suis certaine que tu fais de ton mieux et que tes professeurs sont fiers de toi. Pour nous, tout va bien et nous avons hâte de t'avoir à la maison pour la Fête de la Magie. Nous t'aimons très fort, Papa et Maman"

Les yeux embués de larmes, Célya rangea dans le tiroir de sa commode la lettre de ses parents. Dans le dernier courrier qu'elle leur avait adressé, elle avait fait son maximum pour paraître heureuse et ne pas les inquiéter. La réalité était tout autre : si avec les élèves, les choses se passaient moyennement, la plupart de ses cours fondamentaux étaient une catastrophe. En dépit de ses efforts et de toute sa bonne volonté, elle n'y arrivait tout simplement pas.

En allant rejoindre ses deux amis au réfectoire ce matin - là, la jeune fille avait la mort dans l'âme. Elle craignait cette date depuis plusieurs jours maintenant. Aujourd'hui avait lieu le premier Conseil de Classe de l'année. La semaine passée, Othka était venue expliquer aux Première Année que la semaine suivante, se tiendrait une réunion que le collège des professeurs nommait "Conseil de Classe". Au cours de cette réunion, tous feraient le point sur l'évolution des élèves depuis la rentrée, ce qui permettait de distribuer des récompenses et de sermonner les plus mauvais étudiants. La description avait effrayé Célya et, la dernière phrase de la Directrice des Études avait réduit en cendres ses maigres espoirs :

- Gardez bien à l'esprit, jeunes gens, que les élèves qui seraient en bas de classement trois fois de suite pourraient être renvoyés définitivement.

Renvoyée, son pire cauchemar.

Une fois dans la grande salle, la jeune fille prit une simple boisson chaude, les mille et une douceurs du buffet ne lui disaient rien. Comme un automate, elle gagna la table du fond où ses amis et elle avaient établi leurs quartiers pour les repas. Leur table "cabossée", comme l'avait surnommée Oswald. Lors d'un des repas du soir, ils avaient remarqué que cette fameuse table n'était choisie par personne car elle était bancale, bien abîmée par endroits et couverte de tâches.

- Elle n'est pas parfaite, exactement comme nous, avait plaisanté le garçon.

- Alors, ce sera notre point du chute, avait ajouté Ly-Anne. Table Cabossée fait officiellement partie de notre équipe.

- Bonjour Célya ! Tu as...

La phrase de Oswald resta en suspend devant le teint blafard de son amie.

- Finalement, je ne crois pas utile de te demander si tu as bien dormi.

La jeune fille haussa les épaules.

- Mais enfin, que t'arrive-t-il ?

- Tiens voilà les trois petits cochons !

- Et voilà la Reine des Calomnies, rétorqua Ly-Anne, excédée.

Marika se contenta d'ignorer la pique de la blonde apprentie sorcière. La présence de la major de promotion était aussi l'un des facteurs qui plombait le moral de la jolie rousse. Marika avait fait, au fil des jours, du quotidien de Célya un véritable enfer. Les humiliations étaient quasi quotidienne, que ce soit en cours ou dans les lieux de vie communs.

De plus, la brunette était suffisamment sournoise pour user de son statut et de son influence pour isoler la jeune femme. Seuls Oswald et Ly-Anne faisaient front aux côtés de leur amie, le reste de la promotion s'étant plus ou moins séparé en deux groupes : les indifférents et ceux qui s'étaient joints au groupe de l'Elue.

- Qu'est-ce qui nous vaut "l'honneur" de ta présence, Votre Altesse ? ironisa Oswald.

- Je venais saluer mon amie Célya et lui dire de bien profiter de ce petit déjeuner; après tout, c'est peut-être son dernier à l'Académie.

- De quoi parles-tu ? demanda Ly-Anne en fronçant les sourcils.

- Voyons ma chère, es-tu aussi ignorante que ton amie ? Aujourd'hui, c'est le Conseil de Classe. Ce soir, les plus mauvais seront renvoyés. Je vous laisse deviner qui va prendre la porte en premier, dit Marika dans un rire cristallin.

Même si elle faisait son possible pour rester digne, Célya ne put s'empêcher de rentrer la tête dans les épaules.

- Tu es aussi bête et méchante que puissante, gronda Oswald. Tu sais parfaitement que personne n'est renvoyé à l'issue du premier Conseil.

- Oui mais compte tenu des résultats de Célya, nos professeurs auront peut-être la sagesse de faire une exception.... Aussi, au cas où, j'ai envie de te faire un cadeau, chère amie, afin que nous fassions la paix et de te prouver que l'Elue est capable d'être magnanime. Tiens, prends ceci.

Saisissant sa baguette, la major de promotion fit apparaître une écharpe de laine grossière.

Comme Célya prenait l'accessoire sans comprendre, Marika crut bon d'ajouter :

- Je crois qu'il commence à faire froid dans ta campagne à cette époque de l'année. Je m'en voudrais qu'en plus de la honte de ton renvoi, tu tombes malade.

La jeune femme ne put s'empêcher d'éclater de rire, imitée par sa cohorte de suivants.

- Tu devrais avoir honte de toi, cracha Ly-Anne en se levant.

- Que comptes-tu faire ? Souviens-toi que je suis l'Elue de la Prophétie. Je te conseille de faire preuve de respect à mon égard sinon, il se pourrait bien que j'oublie ton médiocre petit chez toi le jour où le Mal essaiera de nous envahir.

Marika toisa les trois amis d'un regard suffisant; elle s'apprêtait à poursuivre sa vilaine tirade quand Célya la coupa d'une voix blanche :

- J'ai honte de toi et de ce que tu es, je préfère encore tomber sous les sorts ennemis que de te devoir la vie.

Un lourd silence tomba progressivement sur le réfectoire. Marika s'était redressée de toute sa taille.

- Ça ira vite, en effet, puisque tu n'es pas capable de lancer le moindre sort. Tu devais pourtant savoir depuis le départ que tu n'avais rien à faire ici, puisque même la plus médiocre des baguettes n'a pas voulu de toi.

- Ton arrogance causera ta perte, Marika El'Sheena.

On entendit des hoquets de stupeurs : la phrase de la jolie rousse avait sonné comme une prédiction. Marika elle-même avait reculé d'un pas.

- Ce sont des menaces ?

- Je n'en ai pas besoin, contrairement à toi. Tu seras l'instrument de ta chute. Et...

Célya se leva pour partir mais, juste avant, elle jeta aux pieds de la belle brune son écharpe.

- Je n'ai pas besoin de ta pitié.

La jeune fille fit mine de quitter le réfectoire en bousculant sa major de promotion. Sidérée, par l'aisance de sa rivale, Marika gronda :

- Tu vas revenir ici tout de suite et me présenter tes excuses.

Tout le monde attendit, le temps semblait s'être figé. On entendait juste le personnel de l'Académie qui s'affairait en cuisine. Célya aussi s'était arrêtée : elle était folle de rage. Pour qui se prenait cette fille ? Submergée par sa colère, la jolie rousse imagina un torrent de feu dévalant sur les somptueuses chaussures de cette garce. Un feu d'un rouge étincelant, écarlate.

Ce fut le cri de l'Elue et ceux de stupéfaction de la salle qui firent se retourner Célya ; elle resta un instant bouche bée : l'horrible écharpe avait pris feu et ce dernier avait commencé à consumer le bas de la robe de cours de la major. Et, ce qui était en train de semer la panique, c'était qu'en dépit de ses essais, Marika ne parvenait pas à éteindre le début d'incendie qui menaçait de la blesser. Devant son impuissance, des élèves des classes supérieures vinrent au secours de la jeune femme. Il y eut un grand moment de solitude quand même les Sixième et Septième Années spécialisés en Magie du Feu firent montre de leur impuissance pour contrecarrer le sort lancé par Célya.

Il fallait prendre une décision car les flammes progressaient et Marika sentait les premiers signes de brûlure. Un élève d'un cycle supérieur entreprit de monter à l'étage des professeurs afin d'aller chercher de l'aide. De son côté, Célya était tétanisée : comment avait-elle réussi à faire ça ? C'était incompréhensible ! Quand elle y mettait tout son coeur et toute son énergie en classe, elle faisait chou blanc. Et là, sans réfléchir, elle avait lancé un sort. Et même si Marika était maintenant franchement en danger, la situation mettait du baume au coeur de l'apprentie sorcière : elle avait de vrais pouvoirs.

- Il faut que tu reprennes le contrôle de ton sort, vite !

Une voix autoritaire tira Célya de sa transe : il s'agissait d'une jeune femme à l'allure sévère dont la ceinture et ses broderies indiquait qu'elle se destinait à devenir Mage du Feu.

- Je ne sais pas ce que tu as fait petite mais il n'y a que toi qui puisse mettre fin à ton sort.

- Je... Je ne sais pas comment faire !

La fille demeura interloquée un instant.

- Comment ça tu ne sais pas faire ?! Ça fait parti des premières choses que l'on apprend en Première Année.

- Sauf que moi je suis une très mauvaise Première Année et que ça, c'est le premier sort que j'arrive à lancer depuis mon arrivée ici !

- Au secours, aidez-moi !

Marika était à présent complètement paniquée : la sublime major de la promotion pleurnichait comme une petite fille.

- Concentre-toi, reprit la Sixième Année en direction de Célya. Essaie de refaire ton sort mais à l'envers. Comme un pull que tu voudrais détricoter.

La jeune fille inspira et expira pour calmer ses nerfs. Fermant les yeux, elle invoqua une image simple : elle s'imagina en train de souffler sur les flammes, comme pour éteindre une bougie. Comme par magie, le feu qui dévorait le bas de la robe de Marika cessa avant de mourir complètement.

- Beau travail jeune fille, la complimenta l'autre fille.

Choquée, Marika s'était détournée avant de s'enfuir. Comment la situation avait-elle pu à ce point se retourner contre elle ? La rouquine n'avait aucun talent, comment avait-elle fait pour lancer un tel sort ?

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Dans la Caverne, l'Ombre s'était levée comme un seul homme quand elle avait reconnu la nature du sort de la jeune Célya.

- La colère est une source de pouvoir très puissante, chère enfant. Combinée à la Magie de ta Rune, ces vieux murs n'ont plus qu'à trembler.

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- Chers amis, nous sommes à présent tous réunis. Ce premier Conseil de Classe peut commencer.

Sur l'invitation d'Archibald, tous les professeurs prirent place autour de la grande table dans la Salle du Conseil. D'un signe de tête, le vieil homme passa la parole à la directrice des études.

- Nous sommes ici pour faire le point sur le premier mois de nos Première Année. Qui veut commencer ?

Glyphe leva la main.

- Nous vous écoutons.

- Je suis contente de cette nouvelle promotion, dit le professeur de sortilèges. Le niveau est assez homogène et, je pense qu'il y a de vrais talents en devenir.

- Ça ne peut pas être autrement, intervînt Hémoc, professeur de défense et de combat. Il y a l'Elue de la Prophétie dans ce groupe. Un tel potentiel ne peut que tirer le niveau vers le haut.

- Il est sûr qu'avec un tel égo , cette jeune fille va bientôt toucher les plafonds de notre vénérable institution.

Tous les regards se tournèrent vers Efylia, médecin en chef, également professeur de soins et de potions.

- Que voulez-vous dire ? questionna Archibald.

- Certes la jeune Marika est puissante, douée; ses résultats parlent pour elle : elle est en tête de classe. Mais j'ai un vrai souci avec cette jeune fille : c'est son arrogance.

- C'est une Élue, contra le professeur de combat. Ils sont tous un peu arrogant.

- J'en conviens. Mais une Elue de la Prophétie se doit aussi de posséder d'authentiques qualités de coeur; et, si nous sommes objectifs, Marika ne les possède pas, pas plus qu'elle n'a les qualités morales relatives à ce noble statut.

- Peut-être le Seigneur Rififi peut-il nous apporter son éclairage ? intervînt Archibald en croisant ses doigts noueux.

- Si elle n'apprend pas à faire preuve de plus d'humilité, l'année va être longue, soupira le Mage du Feu en se calant dans son fauteuil. Sur ce point, je rejoins Dame Efylia ; en revanche, il est vrai qu'elle possède une réelle puissance magique. Sur ce point, je rejoins le Seigneur Hémoc.

- Si nous sommes d'accord, je m'opposerais donc à la requête faite par les parents de la jeune fille.

- Qui est ?

- De la faire passer directement en Deuxième Année, compte tenu de son haut potentiel.

Il y eut un soupir d'agacement autour de la table : inutile de se demander de qui la petite tenait ses airs supérieurs.

- En fait, poursuivit Glyphe, un seul élément se distingue par le bas. La petite Célya.

Un long silence tomba sur la pièce; le professeur de sortilèges poursuivit :

- Il y a quelque chose que je n'arrive pas à saisir chez cette enfant. Elle est pleine de bonne volonté, elle s'entraîne deux fois plus que les autres. Et pourtant, elle n'y arrive pas.

- C'est le même constat dans ma discipline, poursuivit le professeur de combat. Elle commence à savoir se défendre mais est absolument nulle en attaque. Si aucun changement ne se produit rapidement, je crains fort que nous ne soyons obligés de la renvoyer.

- C'est sévère ! Contra Méryline, professeur de Balai. Nous avons gardé avec nous des élèves encore moins doués. Dans ma discipline, c'est une de celle qui a progressé le plus vite.

- Et elle est de loin la meilleure élève de mon cours, confia Efylia. Elle a un réel talent pour le Soin.

- Nous n'avons aucune certitude concernant son potentiel magique. Elle n'a pas passé les tests d'admission. Nous n'avons aucun indice sur la couleur de sa Rune, son dossier est vide. Rien que ça c'est inhabituel ! À croire qu'on fait tout pour nous cacher des choses sur cette enfant.

Implicitement, Rififi avait coulé un regard vers son directeur : il l'avait vu plisser les yeux à l'évocation du dossier vide de Célya. Lui savait des choses.

- En fait, dit Othka. Si on regarde ses résultats, ils sont assez tranchés : elle est dans les meilleures dès lors que la matière, sans minimiser, ne demande pas ou peu d'investissement magique. S'il faut passer un cap dans la complexité, elle est incapable de quoi que ce soit. Je pense que dans son cas, il va falloir assez vite penser à une solution d'orientation.

- Et pourtant, aussi idiot que cela puisse paraître, poursuivit Glyphe. Je suis certaine qu'elle a un réel potentiel magique. Il y a tant de bonne volonté chez elle, cela me fait de la peine.

- Célya restera avec nous, je m'opposerai à son renvoi.

Le collège des professeurs se tourna vers le directeur de l'Académie.

- Pour le bien commun, cette jeune fille doit rester parmi nous. Il nous faut trouver un moyen de l'aider.

- Je veux bien mais...

Hémoc ne finit pas sa phrase car on frappa avec insistance à la porte. Énervé, Rififi se rendit à la porte qu'il entre-bailla. Mieux valait que le dérangement en vaille la peine.

- Pardon Seigneurs, murmura un domestique. Mais vous êtes demandés d'urgence au réfectoire. Il y a un problème avec les Première Année.

- Quel genre de problème ?

- Une élève a lancé un sort et personne ne parvient à le maîtriser.

Le Mage du Feu haussa ses sourcils broussailleux : cette histoire n'avait pas de sens. Néanmoins, un sort non maîtrisé pouvait être un danger potentiel. Mieux valait régler le problème au plus vite. S'adressant à ses collègues, il résuma la situation et tous décidèrent de descendre au plus vite.

Rapidement arrivés au rez-de-chaussée, ils mirent quelques secondes à appréhender la scène : face à face se trouvaient Marika et Célya. Mais pas de la manière dont ils s'y attendaient : la brune , dont le bas de la robe était sévèrement brûlé, pleurait, et la rousse avait du mal à contenir sa rage. Soudain, Marika tourna les talons pour s'enfuir. Restée seule, Célya semblait bien misérable, et elle donna l'impression de plus se liquéfier encore un peu plus quand elle aperçut les professeurs qui se tenaient à l'entrée du réfectoire.

- Que s'est-il passé ici ? tonna Rififi.

- Je vais tout vous dire Seigneur.

Le Mage reconnut Aryl, une de ses étudiantes.

- Cette jeune fille et la brune qui s'est sauvée se sont disputées. Et soudain, cette fille a lancé un sort très puissant qu'elle seule a été capable de maîtriser.

Tous les yeux se rivèrent sur Célya qui rougit jusqu'aux oreilles.

- Pour une surprise, c'est une surprise, dit Glyphe à voix basse.

- Que chacun rejoigne sa salle de classe ou sa chambre, ordonna Rififi.

Célya et ses amis s'apprêtaient à filer en douce quand le Mage du Feu l'interpella :

- Sauf vous jeune fille, vous avez, je crois, des explications à nous donner.

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