top of page

La livre des mystère : chapitre 17

Chapitre 17 : Première rentrée

L'aube n'était pas encore levée que Célya se retournait dans son lit. Réveillée depuis un moment déjà, la jeune fille sentait tout à la fois l'excitation et la peur lui nouer le ventre. Son regard se posa sur le calendrier de bois accroché au mur opposé : le grand jour était arrivé, aujourd'hui, elle faisait sa première rentrée.

N'en pouvant plus, la future sorcière se leva pour se diriger vers le portant où se trouvait son uniforme. Encore impressionnée, Célya tendit la main pour toucher le délicat tissu. Lorsqu'elle avait passé sa tenue pour la première fois, elle avait bien failli ne pas se reconnaître tant le vêtement la transformait et la rendait sérieuse. Tout en continuant à triturer le bout d'étoffe dans sa main, ses pensées dérivèrent.

Quelques jours auparavant, un domestique travaillant à l'Académie était venu en grande cérémonie chercher ses affaires de sorte qu'elle n'arrive le premier jour qu'avec le strict minimum. Célya avait plus que jamais pris conscience que sa nouvelle vie était pour bientôt et qu'elle ne pouvait plus reculer.

Un coup bref frappé à sa porte tira la jeune fille de sa rêverie.

- Célya ma chérie, le petit déjeuner est servi.

Lâchant le bout de manche qu'elle tenait entre ses doigts, cette dernière descendit d'un pas lourd à la cuisine où Fador et Néryne la saluèrent d'un bonjour enjoué mais, à une multitude de détails, Célya devina que le coeur n'y était pas tout à fait : les mains de son père tremblaient et les yeux de sa mère étaient rouges. Et ça n'avait rien à voir avec un quelconque manque de sommeil. Dans quelques heures, ses parents seraient seuls dans leur maison et elle serait seule face à l'inconnu que représentait la vie à l'Académie. Célya prit son petit déjeuner sans entrain, avalant chaque bouchée mécaniquement. Au fil des minutes, l'excitation du départ se muait en angoisse. Et, au delà de ça, elle n'avait pas la moindre envie de quitter ses parents. Soudain, le carillon de la cuisine sonna la huitième heure du matin.

- Il faut que tu montes te changer ma chérie, dit Fador d'une voix éraillée. Nous n'allons pas tarder à nous mettre en route.

Acquiesçant, Célya se leva comme un automate pour regagner sa petite chambre. Quand elle eut disparu à l'étage, Néryne ne put retenir plus longtemps le sanglot qui lui étreignait la poitrine. Sans rien ajouter, Fador vint l'enlacer tendrement.

- C'est si dur, elle est si jeune, pleura Néryne.

- Je sais, ajouta son époux. Mais c'est pour son bien et je suis convaincu qu'elle sera heureuse là-bas.

- Je l'espère tellement. Je...

- Maman, Papa, je suis prête.

La couple se retourna pour faire face à une bien jolie adolescente : dans sa robe blanche ourlée de rouge, couleur des Première Année, elle faisait plus âgée et le vêtement, bien centré par endroit, accentuait sa silhouette longiligne. Fador prit brutalement conscience que sa fille n'était plus si petite. Il crut bon de dire à sa femme à voix basse :

- Du fond du coeur, j'aurais aimé que cette fichue école ne soit pas mixte !

- Pourquoi donc ?

- Regarde comme notre Célya est belle ! Les garçons vont lui tourner autour comme des rapaces. Et je ne serais pas là pour veiller sur elle.

- Qui m'a dit qu'elle devait apprendre ? minauda Néryne.

- Et bien qu'elle n'apprenne pas trop vite sur point-là où je me sentirais obligé de venir personnellement couper quelques mains voir d'autres attributs...

- De quoi est-ce que vous parlez tous les deux ? demanda Célya, bien consciente d'être au coeur de la conversation.

- Ton père a peur que les garçons ne te tournent la tête, répondit Néryne sous le regard courroucé de son époux.

- Les garçons ?! Pffffffff; avec mes pouvoirs qui partent de travers à la première occasion, ce n'est pas comme si je n'aurais que ça à penser.

- Sage résolution ma fille, ricana Fador. A présent, tourne sur toi-même, s'il te plaît.

Après qu'elle se fut exécutée, il ajouta avec douceur :

- Tu es si belle, tu ressembles tant à ta mère.

Célya se sentit rougir jusqu'aux oreilles. Elle ne se trouvait pas si jolie; pour preuve, une partie de ses amies avait bien plus qu'elle de succès auprès des garçons, en grande partie du au fait qu'elles étaient moins timides. Académie ou pas, son père n'avait guère de souci à se faire.

- Allez jeune sorcière, viens par ici, dit Néryne en tapotant le dossier d'une des chaises de la cuisine.

Une fois cette dernière assise, elle dit à sa fille :

- Et maintenant, ferme les yeux.

Obéissant, Célya entendit juste que l'on ouvrait une boîte et que l'on déchirait un papier. Puis, elle sentit quelque chose de froid contre sa gorge.

- Ouvre les yeux.

S'exécutant, le regard de la jeune fille accrocha son reflet dans un miroir et plus particulièrement sur le plus beau pendentif qu'il lui avait été donné de voir. A un long cordon était suspendue une opaline parfaite. Ronde, délicatement polie, la pierre avait par endroit de délicats reflets d'argent.

- C'est magnifique !

- La nuit de ta naissance, tu as souri à un rayon de lune. Ton père et moi y avons vu un signe de protection de l'astre nocturne. Puisse-t-Elle veiller sur toi, te rassurer et te consoler au besoin quand tu seras loin de nous.

- Merci ! lâcha Célya en se jetant dans les bras de ses parents.

Sans même s'en rendre compte, les larmes se mirent à rouler sur ses joues en un fleuve intarissable.

- Je ne veux pas vous quitter.

- Tu vas nous manquer ma chérie, dit Fador en embrassant tendrement le sommet du crâne de sa fille. Mais, dis-toi que les souvenirs que tu te forgeras là-bas feront partis des plus beaux souvenirs de ta vie.

- Et la Fête de la Magie n'est pas si loin. Tu seras vite de retour chez nous.

Opinant, Célya essuya ses yeux et son nez du revers de la main, ce qui fit lever les yeux au ciel à sa mère. La jeune fille prit mentalement note de cette remarque implicite : à l'Académie, elle devrait faire un effort pour essayer de perdre cette mauvaise habitude.

- Allez, mettons-nous en route ! conclut Néryne d'une voix un peu plus enjouée.

Cette fois-ci, il sembla à l'adolescente que le trajet jusqu'à la ville fut bien plus rapide. Quand ils se posèrent non loin de l'entrée principale, une différence notable sauta aux yeux de la jeune fille : les deux immenses battants étaient grands ouverts et les murs mitoyens recouverts de grandes tentures blanches frappées du sceau de l'Académie : en bas et en haut, un arc de cercle symbolisant la Terre et le Ciel, au centre un bâton de sorcier couronné de la Lune, du Soleil et d'une Étoile. Implicitement, Célya jeta un coup d'œil aux incarnats brodés sur ses manches : le même dessin y avait été brodé. De façon symbolique, elle appartenait déjà à la ville et à l'école.

Quand elle détacha les yeux de son vêtement, elle prit alors conscience que peu à peu, autour d'elle, d'autres élèves arrivaient. Certains vêtus des mêmes robes ornées de rouge, ses futurs camarades; d'autres avec des broderies plus complexes allant de l'orange à l'indigo, soit des élèves allant de la Deuxième à la Sixième Année. Célya savait aussi qu'à partir de la Quatrième Année, on ajoutait aux couleur des uniformes des glyphes particuliers en fonction de la spécialité choisie par chaque étudiant.

La jeune fille sentit à nouveau l'excitation la gagner : si elle parvenait à dominer ses pouvoirs et à réussir ses examens, vers quelle spécialité irait-elle ? Elle avait déjà une idée bien précise : elle serait guérisseuse comme sa mère. Les quelques fois où elle l'avait aidée, Célya avait pris conscience qu'il ne pouvait y avoir plus noble but pour une sorcière que d'aider son prochain. Le fil de ses pensées fut interrompu par le grondement sourd d'une armée de tambours. - Regardez, là-haut ! cria une voix.

L'assemblée réunit devant les portes leva les yeux comme un seul homme vers les remparts surplombants l'arche d'entrée de la cité. Une haute silhouette vêtue de l'imposante cape grise des professeurs se tenait bien droite, dardant un regard impassible sur la foule.

De là où elle se trouvait, Othka observait la foule des étudiants. Une nouvelle rentrée s'annonçait avec son cortège de nouveaux élèves. - Que nous réserve cette nouvelle promotion ? Soupira lourdement la sorcière vêtue de gris. Entre ceux qui arrivaient trop sûrs d'eux, les non-doués et les amuseurs publics, il allait falloir faire rentrer tout ce petit monde dans le rang et rapidement. Inspirant, celle-ci murmura une formule afin que tous l'entendent : - A tous, soyez les bienvenus ! En ce jour de rentrée, l'Académie de Magie de Paraphe est heureuse d'accueillir ces étudiants, anciens comme nouveaux. L'allocution fut suivie de cris et d'applaudissements. Quand le calme fut revenu, Otkha poursuivit : - A présent, nous allons demander à tous nos élèves de rentrer dans la Cité. Vous avez quelques minutes pour faire vos adieux à vos proches.

Célya se figea : ses parents n'avaient pas le droit d'aller plus loin. L'heure de la séparation était arrivée. Se retournant, elle fit de son mieux pour paraître forte.

- Bon, je dois y aller. Le silence se fit pesant entre la jeune fille et ses parents.

- Fais de ton mieux ma chérie , je te sais capable d'accomplir de grandes choses, affirma Néryne, des sanglots dans la voix.

- Peu importe ce que l'on te dira, reste toi-même ma fille. Tu es notre fierté, ajouta Fador.

Émue, Célya se jeta au cou de ses parents. Après un moment qui lui parut un battement de cils, elle s'arracha à leur étreinte pour aller rejoindre la foule des étudiants. Quand elle se retourna, ses parents avaient disparu. La jeune fille sentit son coeur de serrer : elle était seule désormais. Chassant du revers de la main les larmes qui perlaient au coin de ses yeux, Célya se pressa pour rejoindre le groupe qui s'était massé devant les portes. Autour d'elle, il y avait maintenant un océan de robes de toutes les couleurs.

- Ça commence bien, grommela-t-elle. Nous ne sommes pas dans l'Académie que j'ai déjà perdu mes camarades...

- Attention !

Célya s'écarta juste à temps pour voir vaciller une ombre. Sans réfléchir, elle tendit un bras pour éviter à la personne une chute douloureuse.

- Ça va ?

- Oui merci. Sans toi, je me serais écroulée sans aucune dignité et, en plus, j'aurais sali ma belle robe. Et ça, ça aurait été très très humiliant.

Célya sourit à la fille qui se tenait maintenant devant elle : de la même taille, elle avait des yeux sombres et des cheveux courts et bouclés. Elle lui inspira aussitôt une profonde sympathie.

- Hé, remarqua la blonde en tirant sur sa manche pour montrer la bande rouge qui y était cousue, toi aussi, tu es une Première Année ?

- Oui, je m'appelle Célya.

- Enchantée, moi c'est Ly-Anne.

Tout en suivant la masse des élèves qui remontaient vers le Cercle, les deux filles firent connaissance. Ly-Anne était originaire de Retrait, une grosse bourgade au nord de la Marge. Ses parents étaient tous deux sorciers Artisans Tisserand. Elle avait deux frères aînés qui avaient tous deux échoués aux tests d'admission de l'Académie. Ly-Anne était la première de sa famille à réussir, toute la fierté de sa famille reposait sur ses épaules.

- Aux tests, je suis sortie en milieu de classement. J'ai une Rune Orange, pas la meilleure des couleurs mais je m'en sors pas trop mal. Et toi ?

Célya marqua un temps d'arrêt : comment sa presque nouvelle amie allait-elle réagir à son histoire ?

- En fait, mon cas est un peu spécial.

- Si on est ici, c'est que l'on est tous un peu spécial.

Célya sourit : elle n'avait pas tort.

- J'ai juste reçu un courrier me disant que j'étais admise en Première Année.

Ly-Anne ouvrit des yeux ronds .

- Sans passer les tests ? Tu devais être une élève brillante dans le cours de magie de ta ville.

- Je viens de Trykéa, c'est tout petit. Il n'y a pas de cours de Magie. On apprend auprès de nos parents.

- Pas de tests, pas de recommandation d'un professeur, ça n'a qu'une seule signification pour moi.

- Laquelle ?

- Tu as été admise sur recommandation spéciale, comme celle d'une Sorcière de la Rune, par exemple. Tu dois être une grande sorcière en devenir. Ce type d'admission est rare, très rare.

Célya se garda de tout commentaire : elle se voyait à peine sorcière, alors sorcière d'exception, elle n'y croyait pas vraiment.

Les deux filles continuèrent à deviser gentiment quand la foule des étudiants finit par s'arrêter. Regardant autour d'elle, Célya reconnut à peine la place tant elle était pleine à craquer. Là aussi, toutes les devantures étaient parées de tentures de fêtes aux couleurs de l'Académie. La jeune fille jeta un coup d'œil furtif à "La Salamandre Bleue" et, elle constata que le magasin était fermé. Ce fut presque un soulagement : elle n'avait pas la moindre envie de revoir ce cher Hector. Une soudaine série de chuchotements attira son attention :

- La voilà, c'est elle.

Les murmures allèrent croissant au passage d'une brune magnifique. Non contente de river à sa personne tous les regards masculins, sa robe parée du rouge des Première Année était de la meilleure facture et son port de tête hautain lui donnait un air de princesse inaccessible. Quand elle passa à côté d'elle en lui assénant un coup d'épaule, Célya se dit que cette jeune femme lui était vaguement familière.

- Tu sais qui c'est ? Interrogea la jeune fille.

- C'est Marika El' Sheena, répondit derrière elles une voix masculine.

Les deux filles se retournèrent difficilement pour faire face à un jeune homme trapu, presque aussi grand que large. La peau mate, d'étonnants yeux gris et des cheveux châtains hirsutes, son apparence faisait penser à une sorte de farfadet tout droit sorti d'un livre de contes pour enfants. Si Ly-Anne ne put masquer sa surprise, Célya se sentit obliger de demander de plus amples explications : le nom ne lui disait rien.

- Tu dois venir de la campagne profonde pour que ce nom ne te dise rien, s'amusa le garçon en croisant des bras sur sa large poitrine. Tout le monde ici connaît la prestigieuse famille El'Sheena : c'est une famille de sorciers très puissants, tous attachés au service du Roi. Compte tenu de la puissance de ses pouvoirs, je ne comprends même pas ce qu'elle fait en Première Année.

- D'autant plus quand on est l'Elue de la Prophétie.

- La quoi ? Demanda Célya.

- Tu connais la légende attachée à l'Arbre au milieu du Cercle ? dit Ly-Anne.

- Oui.

- Et bien figure-toi que l'été dernier alors qu'elle était sur la place, un témoin a affirmé qu'une jeune fille avait touché l'Arbre et que, suite à son contact, un bourgeon était apparu. Le témoin a clairement identifié Marika.

- Elle n'avait pas besoin de ça pour être admise, commenta le jeune homme. Le nom de sa famille aurait suffi. Elle n'avait pas besoin d'être choisie par le Destin. C'est presque injuste.

Célya ne dit rien et se perdit dans ses souvenirs : elle venait d'acquérir une certitude; la fille de cet été et Marika étaient la même personne... Elles allaient être dans la même classe.

- Formidable, maugréa la jeune sorcière.

Cette année s'annonçait de mieux en mieux.

Marika s'était frayée un chemin jusqu'à l'avant du groupe. Un sourire arrogant barrait son visage : pour la fierté de ses parents et de ses ancêtres, elle entrait à l'Académie de Magie en étant déjà Major de sa promotion mais, pouvait-il en être autrement pour l'Elue de la Prophétie ?

- Elèves de Septième Année et des Cycles Supérieurs, en place !

L'ordre, clamé d'une voix forte, détourna l'attention de Célya de ses inquiétudes. Se dressant comme elle put sur ses pointes de pieds, elle parvint à distinguer une douzaine d'élèves vêtus de robes violettes et d'autres habillés en gris sombre.

- Les élèves des classes supérieures, les futurs grands magiciens d'Alynéa, j'espère être l'un d'eux un jour, soupira la garçon.

Comme Célya lui adressait un gentil sourire, il ajouta :

- Je m'appelle Oswald.

Devant le regard interloqué des deux filles, il ajouta en haussant les épaules :

- Je ne l'ai pas choisi.

- Célya.

- Ly-Anne.

- Etudiants, l'Académie est fière de vous accueillir à nouveau et que nos Première Année soient les bienvenus. Cette Académie est maintenant votre maison, à vous tous, encore une fois, bienvenue !

Sur ce dernier mot, une pluie d'étincelles tomba sur l'assemblée émerveillée des élèves.

- Je suis prête à travailler jour et nuit rien que pour savoir faire ça, dit Ly-Anne en se saisissant d'un confetti qui disparu au contact de sa main.

- Le cadeau d'accueil est plutôt chouette, commenta Oswald.

- Au nom des Première Année, je remercie nos aînés de leur accueil, répondit alors Marika d'une voix forte. Nous tâcherons de nous montrer dignes de l'enseignement de nos professeurs et nous nous engageons à être respectueux les uns envers les autres.

- Dans ce cas, avancés !

Tous les élèves se remirent en marche en direction des portes de l'Académie. Au fur et à mesure que la distance entre la foule compacte et la vénérable institution se réduisait, on distinguait les énormes grilles de fer, à présent ouvertes. Arrivés à une centaine de mètres de l'entrée, tous s'arrêtèrent à nouveau.

- Que tous les étudiants se regroupent par année derrière leur Major, ordonna une voix.

Dans un joyeux capharnaüm, tous les élèves se rassemblèrent en fonction de la couleur de leur robe. Comme le voulais la tradition, les Première Année seraient les premiers à franchir les grilles. Une fois bien alignés derrière une Marika fière comme un paon, les quarante élèves vêtus de rouge entrèrent solennellement dans l'Académie. Quand ce fut le tour de Célya, elle ne put réprimer un étrange sentiment de malaise. La sensation ne dura qu'un instant avant qu'elle ne jette un regard de défi au vénérable bâtiment qui se dressait devant elle.

--------------------

Au loin, la Voix dit d'une voix doucereuse :

- Sois la bienvenue chez toi, chère enfant, de grandes choses nous attendent, toi et moi.

bottom of page