Le livre des mystère : chapitre 15
Chapitre 15 : Souvenirs d'un temps
De leur côté, Célya et Néryne avaient poursuivi leurs emplettes. La petite jeune fille avait retrouvé le sourire après son passage chez la couturière et que celle-ci, après avoir pris ses mesures en long en large et en travers, l'avait assurée que la commande des robes nécessaire à la vie à l'Académie serait prête dans moins de deux semaines. Elles déjeunèrent rapidement avant de se rendre à "La caverne de la Salamandre bleue" le plus gros magasin du Cercle en matière de fournitures scolaires.
Quand Néryne et sa fille pénétrèrent dans la boutique, elles réalisèrent que bien d'autres élèves avaient eu la même idée qu'elles. Les rayons sur trois étages regorgeaient d'étudiants de toutes les années en quête de grimoires, de plumes et autres bocaux. Devant le monde et la quantité d'objets disponibles, Célya articula :
- On va y passer notre vie ! Tu as vu tout ce qu'il y a ! Comment va-t-on faire ? - Commençons par demander de l'aide. Ensuite... - Bienvenue à la Salamandre Bleue, je m'appelle... Néryne c'est bien toi ? La mère de Célya se retourna pour se retrouver à un vendeur de son âge. Grand, bien bâti, il avait un doux sourire et les mains blanches de ceux qui ne travaillent qu'en intérieur. - Hector ? demanda Néryne en écarquillant les yeux. Mais c'est incroyable ! Que fais-tu ici ? Le fameux Hector enlaça Néryne avec une familiarité qui déplut fortement à Célya. Elle eut une soudaine envie de le transformer en crapaud. - Néryne, quel bonheur de te revoir, cela fait si longtemps, trop à mon goût. Mais, j'imagine que tu ne viens pas pour toi. - Non, répondit cette dernière avec un doux sourire. Je te présente Célya, ma grande fille qui rentre dans quelques semaines en Première Année à l'Académie. Célya, je te présente Hector, un ami de longue date que j'ai rencontré à l'Académie.
- Mademoiselle.
- B'jour, grogna Célya avec l'absence totale d'envie d'être agréable.
- Elle est aussi jolie que toi au même âge.
Si Néryne rougit légèrement, Célya eut l'envie de lui jeter un mauvais sort. Même sans baguette.
- Donc j'imagine sans difficulté qu'il lui faut absolument tout le matériel de base. - Tout à fait. - Bien je m'en occupe de ce pas. Donne-moi sa liste s'il te plaît.
S'exécutant, Néryne tendit la feuille à Hector qui, aussitôt, prononça une série de formules. Dans la foulée, différents objets apparurent devant lui et, au fur et à mesure qu'il les touchait, ces derniers s'enveloppaient de papier. Comme elles le regardaient faire, Néryne ne peut s'empêcher de dire à sa fille : - Tu vois, Hector est sorcier et il n'utilise pas de baguette ! Célya se retint à grand peine d'ajouter qu'elle espérait un peu mieux que de faire des paquets dans une boutique. - Et voilà, tout y est !
Célya demeura un instant interdite face à la multitude de paquets qui s'élevait devant elle : comment allaient-elles faire pour rentrer avec tout ça ? Le pauvre balai allait y laisser toutes ses brindilles.
- Merci Hector. Combien te dois-je ? Célya grinça des dents : cette question-là l'effrayait au plus haut point. - Je vais te dire... Mais tout d'abord, donne-moi la lettre de ta fille.
Néryne donna la première page de l'épais courrier à son ami d'enfance. Ce dernier la fit tenir devant lui et, d'un signe de sa plume attendit que la somme apparaisse. Plusieurs secondes s'écoulèrent mais, rien ne se produisit. Pensant avoir fait une mauvaise manipulation, le jeune homme refit son geste et à nouveau, la même inscription fit son apparition au bas du feuillet. - Un problème ? s'enquit Néryne. - Et bien non, je dirai même que c'est une excellente nouvelle pour toi, tu ne me dois rien. Devant les regard étonné de la jolie sorcière, Hector ajouta : - J'ai vérifié deux fois et la réponse est claire : le solde de cette commande est réglé. Tu avais provisionné un compte pour l'avenir ? - Non, absolument pas ! Il doit y avoir une erreur. - Le sort a été mis en place par un sorcier Maître Comptable, il ne peut pas y avoir d'erreur dans la formule. - Mais enfin, comment est-ce possible ? - Je ne sais pas mais, prends-le d'une manière positive : tu as peut-être un généreux mécène dans ta famille ? - Ça, je ne crois pas. - Pour ma part, je n'ai pas de réponse; en revanche, c'est un vrai plaisir de te revoir, tu devrais passer à Paraphe plus souvent. Nous pourrions prendre un café et, parler du bon vieux temps. - Pourquoi pas ? J'y penserais. Merci pour tout. Célya, tu n'oublies rien ? - Merci monsieur, répondit la jeune fille en insistant lourdement sur le mot "monsieur". Puis, les deux femmes quittèrent la boutique après que Hector leur eut assuré que tout serait prêt pour leur départ le lendemain.
Le trajet jusqu'à l'auberge se fit en silence, Célya ayant trouvé un nouveau sujet de contrariété : ce "Hector" qui courtisait sa mère ! Étonnée de ce mutisme, Néryne finit par briser la glace :
- J'aurais cru que cette sortie à la capitale t'aurait plus amusée que ça. Je suis presque déçue. - Je m'amuse beaucoup; en fait, je suis un peu triste de ne pas avoir ma baguette. Mais ce n'est pas le pire ! Néryne coula un regard vers son ado : qu'est-ce qui pouvait être pire pour une sorcière en devenir que de ne pas avoir de baguette ? - Alors, quel est le souci ? - "Ce sera l'occasion de prendre un café et de parler du bon vieux temps" imita Célya d'un ton niais. Non mais, pour qui il se prend celui-là. - C 'est donc ça ! s'exclama Néryne, soulagée. Voyons Célya, c'est un ami d'enfance rien de plus. J'aime ton père plus que tout et puis, je n'ai pas l'occasion de me rendre si souvent que ça à Paraphe.
- J'en connais un qui va être déçu, railla Célya.
Néryne sourit tout en lui rabattant son chapeau sur les yeux, au moins, cette histoire avait eu le mérite de dérider sa fille : il n'était donc pas question de lui dire que le fameux Hector était un ancien amoureux, éconduit depuis longtemps. De retour à leur auberge, mère et fille firent le point sur leurs achats. En dépit du monde dans les magasins, elles avaient réalisé la quasi-totalité des achats de la liste.
- Nous avons été plutôt efficaces, c'est un bonne nouvelle, avoua Néryne. Et si nous profitions de notre soirée pour sortir ! Je suis certaine qu'il y a dans le quartier tout un tas de pâtisseries qui ne demandent qu'à être dévorées !
Célya eut un sourire étincelant :
- Rien ne me ferait plaisir !
- Alors, file te faire belle.
Une fois sous la douche, la jeune fille prit le temps de faire le point sur sa première expérience de la vie à la capitale et, dans l'ensemble, son ressenti était plutôt positif. Si le monde et l'anonymat l'effrayaient un peu, elle avait plus que jamais l'impression que la vie à l'Académie allait poser la première pierre d'une nouvelle étape de son existence. Se séchant rapidement, elle réfléchit au contenu de son baluchon et à ce qu'elle allait mettre pour sortir ce soir. Elle n'avait rien de bien extraordinaire dans ses affaires.
- Maman, tu penses que... Wahou !
Néryne aussi s'était changée et, dans sa robe ocre aux doux reflets dorés, elle apparut à Célya comme la plus belle femme du monde.
- Maman, tu es magnifique ! commenta la jeune fille en détaillant sa mère de la tête aux pieds.
- Merci ma chérie. Viens, j'ai un petit quelque chose pour toi.
Baissant les yeux, Célya remarqua alors une boîte en carton.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Un cadeau ! Allez, ouvre.
Sans plus se faire prier, la jeune fille défie le petit lien de corde qui maintenait le carton fermé. A l'intérieur se trouvait quelque chose dissimulé par du papier. Ecartant un pan de la fine feuille, Célya eut un choc : une magnifique robe verte se cachait à l'intérieur. Les mains tremblantes, elle la sortit de la boîte. La robe était légère, presque transparente par endroit et d'un vert émeraude profond. Les manches s'écartaient de manière fluide à hauteur des coudes et, elle devait lui tomber juste au-dessus des genoux. Le fond du carton cachait un chapeau assortit.
- Maman, je ....
- Elle te plaît ?
- Elle est magnifique ! Mais pourquoi ? Ca a du te coûter une fortune ! Je..
- Tais-toi donc, jeune demoiselle. Tu vas venir étudier à la capitale, il te faut renouveler ta garde-robe. Dépêche-toi d'aller l'essayer, afin que je sois certaine qu'il n'y ait pas besoin de faire de retouches.
Célya opina avant de se jeter au cou de sa mère pour l'embrasser fort sur la joue. Puis, elle fila à nouveau dans la salle de bain pour passer sa jolie tenue. Néryne eut à peine le temps d'ouvrir un livre qu'elle entendit la porte de la salle de bain et sa fille dire :
- Qu'en penses-tu ?
Néryne se retourna et n'ajouta rien. Des larmes lui montèrent aux yeux : ainsi vêtue, Célya n'avait plus rien d'une frêle adolescente. Cette robe qui s'accordait aussi bien au vert de ses yeux qu'à sa chevelure rousse révélait la femme qu'elle allait devenir. Fador n'allait pas être content. Devant l'émotion de sa mère, Célya se précipita :
- Maman, quelque chose ne va pas ?
- Tout va bien ma chérie, au contraire. Je dois juste me faire à l'idée que ma petite fille a grandi et que c'est presque une femme qui est maintenant devant moi. Allez, allons faire un tour, cette jolie robe est faite pour être montrée.
Néryne et Célya passèrent une soirée agréable; après avoir consulté plusieurs fois le guide des restaurants près de leur auberge, elles décidèrent de retourner manger dans le quartier du Cercle pour lequel Célya avait, comme beaucoup de sorciers avant elle, déjà un coup de coeur.
De nombreuses lanternes éclairaient la place ce qui accentuait le côté convivial et festif du lieu, bondé comme en plein après-midi. Et, tandis qu'elle discutait, Célya ne remarqua pas le nombre de jeunes sorciers qui lui jetaient des regards appuyés. Après un dîner rapide, les deux femmes allèrent faire le tour de la place en sirotant un thé de Gargamelle; la baie d'un noir profond ne germait qu'au coeur de l'été. Une fois écrasée, elle produisait une poudre qui, une fois mélangée à de l'eau chaude, donnait un jus sucré.
Tout en sirotant sa boisson chaude, Célya vit de nombreux jeunes gens aller s'agenouiller devant le vieil arbre. - Que font-ils ? s'interrogea la jeune fille. - Tu ne connais pas la légende, paysanne ?
Célya se retourna pour faire face à une sorcière de son âge, habillée d'une somptueuse robe bleu nuit. Ses traits lui étaient vaguement familiers. Oui, il s'agissait de l'une des trois sorcières qui l'avait toisée un peu plus tôt dans la journée. Sans même attendre la réponse de Célya, la jolie brune poursuivit :
- La légende raconte que seule une sorcière d'exception, née avec un grand pouvoir sera capable d'éveiller la magie qui sommeille dans l'arbre. Elle sera l'Elue de la Magie, celle qui sauvera notre monde du chaos.
S'appuyant contre le tronc sec, la brune ajouta :
- J'espère bien être cette sorcière... Même si je ne suis pas pressée de vois le Chaos envahir notre monde.
Puis, détaillant Célya, elle ajouta, acide :
- En tout cas, une chose est sûre : ce n'est pas une paysanne déguisée en fille de la ville qui ramènera l'arbre à la vie.
Sans même laisser le temps à Célya de répondre, la fille se détourna.
- Comme si l'arbre verrait en une fille si prétentieuse l'Elue de la Magie, pesta Célya.
Se retournant, elle toucha du bout des doigts contre le vénérable végétal :
- Je suis convaincue que tu n'aurais pas si mauvais goût.
Finissant sa phrase, elle eut presque l'impression que l'arbre avait eu un tressautement.
- Célya, ma chérie ! appela Néryne depuis l'autre bout de la place. Il se fait tard, nous devrions rentrer.
Tournant les talons, la jeune fille rejoignit sa mère et toutes deux rentrèrent prendre un repos bien mérité.
Derrière elles, un vent invisible secoua les branches du vieil arbre.
- "Le temps est venu, l'histoire est en marche, de nouveau".