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Le livre des mystère : chapitre 13

Chapitre 13 : En route vers...

L'été s'avançait lentement. Chaque jour, Célya voyait le jour de la rentrée approcher avec un mélange d'impatience et d'appréhension. Si elle avait hâte de commencer les cours, elle se demandait surtout si elle serait capable de se faire rapidement des amis.

Comme tous les matins, alors qu'elle s'occupait à arracher les mauvaises herbes du jardin, elle se perdait dans les mêmes réflexions. Alors qu'elle refaisait le monde pour la centième fois, une plante dans chaque main, un cri perçant déchira l'air immobile.

Levant les yeux, Célya vit une ombre planer au-dessus d'elle. Eblouie par la clarté du jour, elle mit sa main en visière pour tenter de distinguer quelque chose mais, elle ne distingua rien avant que l'ombre ne vienne se poser presque à ses pieds sans le moindre bruit. Le jeune fille eut le souffle coupé : un rapace étoilé.

L'animal légendaire n'était que grâce et puissance, ses apparitions rarissimes, c'était un privilège rare que de pouvoir en contempler un. Aussi, la jeune fille demeura un long moment sans savoir quoi faire; de même, l'oiseau était resté sans bouger, prenant juste le soin de lisser son magnifique plumage doré, comme s'il attendait un geste particulier de sa part.

Hésitante, Célya avait tendu la main vers le cou gracile de l'oiseau. Se laissant aller à tendre le bec, l'animal sacré avait comme senti la toute jeune sorcière avant de gonfler son plumage, d'ouvrir ses ailes et de lui pincer violemment un doigt, ce qui lui avait de pousser un cri de douleur et de surprise. Il avait ensuite arraché une de ses plumes, qui au contact du sang de la jeune fille, se transforma en une épaisse lettre frappée du sceau de l'Académie.

La lourde missive tomba sur le sol poussiéreux; avant même que Célya ait réagi, la rapace étoilé, d'une poussée de ses pattes, avait décollé pour repartir vers d'autres cieux.

Seule à nouveau, Célya, encore sonnée par cette formidable rencontre, décacheta l'enveloppe : il s'agissait de l'impressionnante liste de fournitures dont elle allait avoir besoin. Et, au fur et à mesure que les lignes défilaient sous ses yeux, elle sentait son coeur flancher : il y en avait pour une fortune.

Les mains tremblantes, Célya était rentrée chez elle, dix mille questions se bousculant en elle : et si ses parents ne pouvaient pas payer ? Son rêve se briserait avant même d'avoir commencé.

Néryne et Fador étant absents tous les deux pour la journée, la jeune fille passa de longs moments à s'interroger sur le contenu des ouvrages cités dans la liste. Certains lui étaient familiers comme "Elémentaire du Botaniste" (sa mère avait tous les volumes ou presque dans la bibliothèque de la maison); certains comme "Sorts Elémentaires de 1er Cycle" titillaient sa curiosité. Mais, le rêve absolu se tenait dans la section "Matériel général" : une baguette magique.

L'objet sacré pour tous les sorciers, peut-être enfin le moyen pour elle de canaliser ses pouvoirs. Une baguette magique pour elle seule. S'allongeant sur son lit, Célya ferma les yeux, essayant d'imaginer à quoi ressemblerait la sienne : serait-elle en bois brut ou souple comme un roseau ? De bois clair ou sombre comme un soir d'hiver ? La jeune fille en était encore à se figurer maîtrisant tous les éléments quand elle entendit distinctement une porte s'ouvrir et se refermer. Célya de releva si vite qu'elle chuta sans aucune dignité, se perdant au milieu d'un épais nuage de feuilles. Les ramassant à la va-vite, la jeune fille dégringola les escaliers avant de se précipiter dans le vestibule où Néryne retirait sa cape trempée de pluie.

Perdue dans ses rêves, la jeune fille ne s'était même pas rendus compte qu'une bonne partie de la journée avait passé et que le ciel dégagé du matin avait maintenant une dangereuse couleur de tempête. - Maman ! - Bonjour Célya ! Je me fais vieille mais pas sourde pour autant. Que se passe-t-il ? - J'ai reçu ma liste de fournitures pour la rentrée. - Déjà ? L'Académie ne perd pas de temps. Je ne comprends toujours pas l'intérêt de les envoyer si tôt; la moitié du temps, les professeurs changent d'avis les quinze premiers jours de classe. - Peut-être mais, en attendant, il me faut plein de choses ! Je ne suis pas certaine qu'on trouve tout à Trykéa. - Poudre de Perlimpinpin, ça se demande encore ça ? - Maman !! - Oui, pardon. Non c'est peu probable. Et, faire passer la commande risque de nous faire perdre du temps. A moins que tu ne sois pas pressée... Néryne s'amusa du soupir lourd de sous-entendus de sa grande fille : les générations se suivaient et se ressemblaient. Maintenant qu'elle avait reçu le courrier, dont elle ne soupçonnait même pas l'existence le matin même, il lui fallait tout le plus vite possible. - Bon j'ai compris, nous irons faire des emplettes à Paraphe. - Où ça ? s'exclama Célya. - Allons faire nos achats directement à la capitale. Je devrais pouvoir m'absenter deux jours. Nous n'aurons aucun mal à trouver tout ce qu'il te faut là-bas.

Célya se retint à grand peine de hurler de joie. La capitale, elle allait voir Paraphe de ses yeux. La ville, la vie.

- Est-ce que cela te convient ?

- Oh oui Maman ! Merci ! explosa cette dernière en se jetant au cou de Néryne. Nous allons faire les boutiques, dormir à l'auberge, manger aux meilleures tables, faire...

Célya n'acheva pas sa phrase, elle laissa retomber ses bras, le regard soudain triste.

- Que se passe-t-il ? interrogea Néryne, surprise de ce brusque changement de comportement.

- Je pense, qu'en fait, on ne va rien faire de tout ça.

- Et pourquoi ?

- Maman, tu as vu comme cette liste est longue. Tout est neuf, ça...

- Ca ?

- Ca va vous coûter une fortune à Papa et toi. L'hiver va venir, il sera peut-être long. Je ne veux pas que vous soyez dans le besoin par ma faute.

Néryne eut un tendre sourire : sa grande adolescente n'était pas toujours facile à comprendre mais, ses qualités de coeur étaient indéniables. Ce qui ferait d'elle une bonne sorcière de plus à l'ouest de la capitale.

- Ma Célya. Tu n'as pas à t'inquiéter pour tout ça : notre histoire a fait que nous n'avons que toi. Tu es notre bonheur et notre joie et, il est de notre devoir de faire en sorte que tu aies la meilleure éducation possible. Laisse aux adultes ces considérations, la seule chose que tu as à faire, c'est de préparer au mieux cette rentrée. Je suis si fière de toi ma fille.

Célya baissa les yeux pour dissimuler son regard embué de larmes. En son for intérieur, elle se fit la promesse d'être la meilleure élève de Première Année afin de rendre ses parents fiers d'elle.

Le soir-même, Néryne et Célya firent part de leur projet à Fador. Ce dernier protesta pour la forme, heureux de constater que Célya se faisait une joie de cette future rentrée. Pour fêter l'évènement, la jeune fille avait préparé une tarte à la citrouille et, si elle était mauvaise magicienne, elle était a priori une redoutable cuisinière en devenir. Cette nuit-là, la maison s'endormit le ventre repu et l'esprit apaisé bien loin d'un sombre ricanement émis au fond d'une caverne.

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- Allez maman, dépêche-toi !

- J'arrive.

- Allez, plus vite !

Néryne eut un soupir qui fit enragé sa grande fille : quinze jours s'étaient écoulés depuis que mère et fille avaient pris la décision de se rendre à la capitale, quinze jours à supporter une ado hystérique qui ne parlait que ça du soir au matin et même la nuit. Lorsqu'il avait vu sa fille avec sa cape de voyage, camper dès l'aube sur le perron, Fador avait adressé une prière de remerciements aux Dieux. Puis, il avait donné ses dernières recommandations aux deux femmes de sa vie :

- Et surtout, soyez prudentes toutes les deux, ne sortez pas trop tard et ne parlez pas aux inconnus.

- Promis ! On sera prudente et maintenant on y va ! coupa Célya, sur le point de creuser un puits devant la maison à force de trépigner.

- Nous serons de retour demain soir, promit Néryne en déposant un baiser furtif sur les lèvres de son époux. Toi aussi, fais attention à toi veille sur notre maison.

Comme Fador caressait tendrement la joue de sa femme, il entendit Célya murmurer :

- J'ai treize ans, je suis trop vieille pour avoir une soeur.

- Ou un frère alors ? questionna Fador, une lueur amusée dans le regard.

Leur grande fille tourna les talons, grommelant dans sa barbe sur l'humour douteux des adultes.

- Bien, allons-y ! s'amusa Néryne en achevant de mettre à son tour sa cape de voyage.

Elle rejoignit sa fille qui patientait à quelques pas de la maison.

- Tu es prête ?

- Oui !

- Allons-y alors.

Se saisissant d'un long morceau de bois sculpté par Fador, Néryne le déposa à même le sol. Tendant sa main au-dessus, elle prononça une formule : sous les yeux ébahis de Célya, le bois commença à scintiller et à s'élever de quelques centimètres au-dessus du sentier. Puis, des brindilles sèches apparurent à l'une des extrémités où elles se nouèrent solidement. En quelques minutes, Néryne avait construit un balai de voyage, l'un des luxes du transport quand on était un sorcier un temps soit peu qualifié.

- Allez, grimpe jeune fille.

Célya ne se le fit pas dire deux fois, elle enfourcha l'objet avec enthousiasme tant et si bien que celui-ci tangua sévèrement.

- Doucement, doucement, commenta Néryne. Nous avons tout de même un peu de chemin à faire.

- C'est juste que j'adore faire du balai, c'est tout. Tu crois que j'apprendrais ça aussi à l'Académie ?

- Si le cursus n'a pas changé, oui. La maîtrise du balai niveau 1 est, de mémoire, au programme de Première Année.

- Trop bien, s'exclama la jeune fille en serrant fort la taille de sa mère au fur et à mesure que le balai prenait de la hauteur.

Néryne ne put réprimer un soupir : si elle pouvait avoir autant d'enthousiasme pour passer le balai dans sa chambre. Chassant cette dernière idée, elle donna une impulsion et le balai prit aussitôt de la vitesse.

Le trajet jusqu'à Paraphe dura une petite heure; la météo était idéale pour un voyage en balai : ciel clair, vent arrière et une température encore agréable. Au fur et à mesure que défilaient les kilomètres, Célya scrutait attentivement le paysage, remarquant à quel point celui-ci se transformait : les grands espaces étaient parcourus par des routes de plus en plus nombreuses, plus larges et toutes bien entretenues. Les villages que l'on apercevait semblaient tous plus gros que Trykéa avec de grandes places centrales qui fourmillaient de vie.

- Au fait, dit soudain Néryne, tu ne m'as pas raconté : qui t'a apporté ta lettre de fournitures ?

- C'est vrai, j'ai oublié ! Et tu ne devineras jamais.

- Alors, dis-moi, je suis de plus en plus curieuse.

- Un rapace étoilé.

Néryne serra les mains autour du manche du balai : la chose était loin d'être anodine. Les rapaces étoilés étaient considérés comme des seigneurs du ciel et, ils étaient rarement utilisés pour des missions aussi triviales. A moins que le destinataire du courrier ne sorte de la norme... Et très peu de gens à l'Académie avait le pouvoir de convoquer ces oiseaux. Cette rentrée prenait d'ores et déjà une allure bien étrange. Néryne ne put empêcher la peur de venir se nicher dans son coeur. Afin que Célya ne se méprenne pas sur son silence, elle ajouta rapidement :

- Tu as une chance extraordinaire, les rapaces étoilés se montrent rarement. C'est sans doute le signe que tu as une bonne étoile qui veille sur toi.

- Je l'espère aussi maman.

Néryne et Célya firent le reste du trajet en silence et, la mère de Célya se surpris comme souvent ces derniers temps à prier les Dieux qu'il y ait bien une bonne étoile pour veiller sur sa fille. Soudain, des ombres à l'horizon attirèrent son regard.

- Regarde, nous y sommes presque !

Célya leva les yeux et son coeur eut un sursaut : au loin se distinguaient des bâtiments. Ils devaient être imposants pour qu'on les voit de si loin et. Etrangement, la jeune fille sentit grandir en elle deux émotions contradictoires alors que défilaient les derniers kilomètres : à la curiosité se disputait une angoisse latente, comme si une infime partie d'elle-même savait que plus rien ne serait pareil si elle franchissait les limites de la ville.

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Au loin, les Yeux observaient la frêle jeune fille et, comme si elle devinait ses sentiments, l'Ombre ajouta :

- Sois la bienvenue chez toi, chère enfant. Tu es attendue depuis si longtemps.

Il semblait à l'Ombre qu'une éternité s'était écoulée depuis qu'elle avait ressenti pour la dernière fois ce sentiment trivial et fugace qu'était la joie. Elle avait beau faire appel à des années de maîtrise d'elle-même, elle ne pouvait s'empêcher d'espérer que son heure était enfin venue.

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