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Le livre des mystère : chapitre 12


Chapitre 12 : À la lumière d'une bonne action

Quelques mois auparavant, Néryne et Célya s'étaient rendues dans un bourg près de la Marge, la rivière qui traversait Alynéa du nord au sud. Néryne avait été appelée en renfort par une consoeur guérisseuse pour stopper une épidémie de fièvre à pustules.

Si la maladie était contagieuse et donnait aux malades une apparence des plus vilaines, elle était en revanche bénigne, raison pour laquelle Néryne avait autorisé Célya à l'accompagner. La jeune fille semblait bien avoir hérité de sa mère son talent pour la botanique : Néryne la laissait en toute confiance préparer potions et onguents et, quand elle voyait son implication au travail, elle la trouvait plus douée qu'elle au même âge. Néryne était certaine que sa fille serait une guérisseuse de grand talent.

Lorsque les deux femmes étaient arrivées au bourg, elles avaient rapidement été submergées par les demandes de mamans inquiètes ou simplement en quête d'une pommade pour soulager les démangeaisons provoquées par les pustules ou d'une tisane pour faire tomber la fièvre. Encadrées et conseillées par la guérisseuse locale, elles s'étaient rapidement mises au travail, ne rencontrant qu'à de rares moments des cas nécessitant une hospitalisation.

C'est peu avant de prendre une pause pour le déjeuner que ça s'était produit : parmi la foule des malades s'était glissée une petite fille. Brune, timide, modestement vêtue, elle s'était approchée en tremblant de Néryne, osant à peine lever vers elle ses grands yeux sombres.

- Pardon, Dame Guérisseuse.

- Que t'arrive-t-il ma chérie ? avait répondu la mère de Célya avec bienveillance. Es-tu malade ?

- Ce n'est pas moi, Dame, c'est lui.

La petite avait alors sorti d'un linge sale un chaton. Maigre, la fourrure terne, la pauvre bête semblait bien mal en point.

- Je n'ai pas de quoi payer, Dame, mais je suis prête à faire tout ce que vous voudrez. Aidez-le, s'il vous plaît.

Touchée, Néryne se pencha sur le petit animal; faible, il n'avait même plus la force de feuler au moindre contact. Laissant aller ses mains, Néryne examina le chaton et sentit son sang se glacer : la pauvre petite bête était méchamment souffrante. Ses poumons étaient très atteints, il n'y avait pour ainsi dire plus rien à faire, à part l'aider à partir sereinement. Levant les yeux , elle fut saisie par la détresse de la petite fille.

- Cesse d'embêter la Dame, tonna alors une voix bourrue, appartenant sans doute au père de la fillette. Ce n'est qu'un chaton abandonné, tu en trouveras plein d'autres.

- Mais celui-là, je l'aime, rétorqua la petite un tremblement dans la voix. Ma Dame, s'il vous plaît.

Néryne sentit son coeur se morceler à cette supplique : elle se devait de tenter quelque chose tout en sachant qu'il s'agissait d'une cause perdue.

- Je vais voir ce que je peux faire, ne t'inquiète pas.

- Dame, c'est trop pour une bête couverte de puces.

- Je n'aurais pas fait moins pour ma fille, ce n'est rien.

Se tournant vers la jeune fille rousse qui faisait sécher des bandes, Néryne lui dit :

- Célya, s'il te plaît, peux-tu me préparer une sachet d'herbes de Phalin.

- Bien sûr ! Combien de feuilles ?

- Quatre ou cinq devraient faire l'affaire.

- C'est peu pour soigner une fièvre à pustules.

- Pour ce patient, cela devrait suffire.

La jeune fille aperçut du coin de l'oeil le chaton malade. Entendant le sifflement rauque qui faisait office de respiration, elle jeta un regard interloqué à sa mère : l'herbe de Phalin ne servait qu'à atténuer les douleurs légères, pas à guérir. Comme Célya allait ouvrir la bouche, Néryne lui fit un signe de dénégation rapide : le petit chat allait mourir, il fallait de l'espoir à cette petite fille. Le coeur lourd, Célya prépara les feuille sèches et jaunies et les mit dans une sachet de papier.

Ses gestes étaient automatiques et, une sourde colère montait en elle : cette petite fille n'avait pas l'air d'avoir grand chose et, la fatalité allait lui prendre la seule chose à laquelle elle était attachée. C'était injuste. Elle tendit le sachet à sa mère se gardant bien de croiser le regard plein de joie de la fillette.

- Voilà, dit Néryne en tendant à l'enfant le remède. Mets ces feuilles dans de l'eau chaude et tamponne le museau de ton chat avec. Deux feuilles par infusion et trois applications par jour, je pense que cela devrait aller.

- Merci Dame, du fond du coeur merci, s'écria la fillette en dansant sur place.

- Dame merci mais c'est beaucoup trop ! s'exclama le père de l'enfant. Je ne puis vous payer tout de suite mais...

- Prenez-le comme un cadeau.

Comme l'homme allait protester, Néryne ajouta d'une voix douce :

- La Magie m'a fait don de la Guérison, je me dois d'aider mon prochain. Regardez-la.

Le gros homme regarda sa fille qui parlait à voix basse au chaton malade.

- Elle sera tellement triste, je peux lui offrir quelques jours de joie. Cela n'a pas de prix.

Tandis que l'homme se confondait en remerciements, Célya avait envie de pleurer de rage : tout cela n'était que pure hypocrisie, si la Magie était si puissante, alors il devait y avoir un moyen de sauver ce chat.

- Célya, s'il te plaît, peux-tu me rendre service ?

La jeune fille sursauta : elle avait craint d'avoir parlé à voix haute.

- Bien sûr.

- J'ai besoin d'aller chercher des provisions au marché. Pourrais-tu raccompagner notre jeune amie à la chambre de son auberge. Son père et elle ont aussi du chemin à faire pour rentrer chez eux.

Opinant, Célya prit la main de la fillette en lui disant :

- Allez viens, nous allons aller chercher tes affaires.

Le chemin jusqu'à l'auberge parut un enfer à Célya : la petite brune ne cessait de parler à son chat, lui disant que dans quelques jours tout irait pour le mieux et qu'il pourrait aller chasser les souris au moulin. Célya avait envie de hurler et de secouer la gamine en lui disant que ça n'irait pas mieux. Et, dans le même temps, son coeur lui disait de garder le silence, qu'elle n'avait pas le droit de briser le bonheur de cette enfant innocente. Comment faisait sa mère quand elle devait annoncer une mauvaise nouvelle à un patient ou à sa famille ?

- On est arrivé ! claironna la fillette. Je peux te laisser le chat, l'aubergiste est un peu grognon, il aime pas les animaux. Alors, les chats encore malades.

Elle eut un petit rire avant d'ajouter :

- Ta maman est merveilleuse, moi la mienne est même pas magicienne.

- Toutes les mamans sont des magiciennes, corrigea aussitôt Célya.

- La mienne n'aurait jamais pu guérir le chat, contra l'enfant. Elle m'aurait dit de le laisser mourir.

- L'essentiel, c'est que les choses vont aller mieux maintenant. Allez, va vite chercher tes affaires, je garde Mistigri.

- Mistigri ?

- C'est le surnom qu'on donne aux chats, par chez moi.

- C'est trop mignon ! Bon je vais chercher ma cape, à tout de suite, lança-t-elle en franchissant la porte de l'auberge.

Prenant le petit animal chaudement emmitouflé dans une serviette propre, Célya caressa distraitement la fourrure. Sous ses doigts, elle sentait la respiration rauque et saccadée. Imaginer le désespoir de la fillette lui brisait le coeur. Rageuse, la jeune fille ne pouvait se résoudre à laisser repartir cette petite fille tout en sachant que son animal n'allait pas survivre, c'était trop injuste ! Il fallait qu'elle fasse quelque chose mais quoi ? Sa mère lui avait dit que le chaton était condamné et qu'elle ne pouvait rien n'y changer. Pourtant, Célya avait l'intime conviction que si, elle pouvait faire quelque chose.

- Alors, fait !

Célya sursauta : cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas entendu sa voix intérieure qu'elle avait fini par croire qu'elle l'avait imaginée.

- Faire quoi ? Maman est la plus talentueuse des sorcières de Guérison de la région. Et elle ne peut rien faire.

- Tu as son Don et une magie bien plus puissante. Tu peux y arriver.

- Et comment ?

- Imagine que les poumons de ce petit animal sont sales. Que ferais-tu pour les nettoyer ?

Fermant les yeux, Célya se figura une pièce sale, encombrée. Et elle s'imagina ouvrir les fenêtres pour laisser entrer la lumière et que la clarté du jour faisait tout disparaître. Elle sentit alors une douce chaleur se répandre sous ses mains puis, le chaton se mettre à ronronner doucement. Ouvrant les yeux, elle vit le chat qui cherchait à se nicher au creux de ses mains, en quête de la douce chaleur au fur et à mesure que celle-ci disparaissait.

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Loin de là, dans la caverne, les Yeux avaient observé toute la scène. Un sourire carnassier étira la Bouche. La Voix ne put s'empêcher de commenter :

- Fascinant. Tu seras encore plus prodigieuse que ce que j'avais imaginé.

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Néryne arriva peu après en compagnie du père de la fillette à la porte de l'auberge. Au premier coup d'oeil, la sorcière comprit que quelque chose d'étrange s'était produit. Célya se tenait agenouillée auprès de l'enfant à l'expression ravie. Son regard se porta vers les mains de la petite fille où le chaton essayait maintenant de chasser les doigts de sa petite maîtresse. Néryne ne put réprimer sa surprise : le soin qu'elle avait donné pour l'animal n'était que du confort. Quelque chose n'allait pas.

- Et bien , lança Néryne. Il a l'air d'aller beaucoup mieux !

- Vous êtes une magicienne ma Dame ! s'exclama la fillette en se jetant dans ses bras. Vous l'avez sauvé, merci !

- Remercie la Magie et la force de ton chat, c'est sa volonté qui a tout fait, ajouta la sorcière. Puis-je le prendre encore une fois, afin de m'assurer que tout va bien ?

Opinant, la petite se saisit de l'animal qui, ne partageait pas son point de vue, pour le donner à Néryne. Passant ses mains sur le dos de la petite chose, ce qu'elle constata affola ses talents de guérisseuse : rien. Il n'y avait plus rien. Une guérison parfaite en l'espace de quelques minutes. C'était incroyable... et parfaitement impossible.

Seul un Mage Guérisseur de haut niveau aurait pu réaliser une telle prouesse et, il y avait fort à parier qu'un sorcier de cette trempe n'aurait rien fait pour un chat. Puis, se concentrant un peu plus, elle remarqua une signature magique : un sort de soin d'une pureté et d'une puissance fascinante. Suivant la trace laissée par le sort, Néryne eut un choc.

- Il n'allait pas bien, pas bien du tout. Je suis rentrée dans l'auberge, je l'ai laissé à Célya et quand je suis revenue, il allait mieux, sans même prendre le médicament.

Néryne serra les mains sur l'animal, obtenant de lui un feulement douloureux. Tournant les yeux vers sa fille, cette dernière devint écarlate avant de s'abîmer dans la contemplation de ses chaussures, confirmant ce qu'elle avait découvert quelques secondes auparavant : Célya, incapable d'allumer un feu de cheminée, venait de lancer un sort de guérison plus puissant que tout ce qu'elle savait faire.

Et, comme ce constat la frappait douloureusement, une voix claire résonna :

- Le temps est venu.

Néryne, absente, avait rendu son chat à la petite qui sautait dans tous les sens. Mal à l'aise, elle avait accepté les remerciements du père de la fillette. Son coeur avait sombré : la voix était celle de la Sorcière de la Rune. La Sorcière, sans doute depuis toujours attentive à la manière dont les pouvoirs de Célya grandissaient, venait d'avoir le signe dont elle leur avait parlé, neuf ans auparavant. Célya avait agi avec noblesse; Néryne allait perdre sa fille.

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Toujours seule dans sa cuisine, des larmes coulant sur ses joues, Néryne se souvenait du silencieux trajet de retour de cette journée. Célya avait à peine oser la regarder, comme si elle avait été prise en faute. A la question muette qu'elle lisait dans le regard de sa mère, la jeune fille avait répondu :

- Il fallait que je fasse quelque chose. Je suis heureuse que ça ait fonctionné.

Fador rentra chez lui à la tombée de la nuit. Grande avait été sa peur lorsqu'il avait trouvé sa femme ravagée par la tristesse. Effondrée, elle lui avait montré la lettre. Son époux était resté un long moment sans bouger, figé devant le courrier. Puis, en soupirant, il avait ajouté :

- Nous savions.

- Il est trop tôt, c'est encore une enfant.

- Elle sera notre petite toute sa vie, même quand elle sera mère à son tour. C'est une chance; et si cela peut l'aider à maîtriser ses pouvoirs.

- J'ai fréquenté l'Académie. C'est si dur.

- Il faut qu'elle apprenne. Je sais que tu as peur mais notre Célya est une battante. Elle saura faire sa place.

Si sa raison entendait ce que disait Fador, son coeur se refusait à l'admettre : à l'Académie, Célya devrait s'adapter à un nouveau rythme de vie mais aussi et surtout aux autres. Et la méchanceté de cet âge laissait souvent des cicatrices indélébiles.

En allant se coucher ce soir-là, Néryne pria la Magie et les Dieux avec ferveur :

- Divinités, veillez sur ma petite fille. Elle est si jeune et ses pouvoirs sont si instables. J'ai peur, tellement peur. Je vous supplie de l'aider à ma place, il y aura des jours difficiles et des nuits sans lune.

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Au loin, la Voix conclut la prière de la jeune femme :

- Ne sois pas inquiète, petite sorcière. Je veillerai sur elle, son destin est en marche.

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