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Le livre des mystère : chapitre 10

Chapitre 10 : Rune bleue



La phrase resta en suspend dans l'air tandis que Edona, livide, s'asseyait sur une chaise. Célya possédait une Rune Bleue. La Rune des Maîtres Sorciers. Il se passait parfois deux voire trois générations sans qu'une telle Rune apparaisse. Il se murmurait que Maître Archibald, le directeur de l'Académie de Magie, possédait une telle Rune. - Si on peut toujours trouver un moyen pour contenir et canaliser le pouvoir de toutes les Runes, ce n'est pas le cas pour les Runes Bleues. Entendez-moi bien, dit la Sorcière à voix basse, Célya, même si elle n'en a pas conscience, est déjà la personne la plus puissante de la pièce. En grandissant, ses pouvoirs gagneront en force. Si elle ne parvient pas à les maîtriser, elle sera dangereuse, à commencer pour elle-même. Et le monde des sorciers n'est pas peuplé que de gens animés de bonnes intentions; si la couleur de la Rune de Célya est révélée, elle deviendra l'objet de convoitises et une potentielle arme de destruction entre de mauvaises mains. - Il faut donc que la petite fille parte ? Edona avait relevé la tête, un demi-sourire aux lèvres : la soeur de Néryne n'admettait pas sa défaite. Puisque son fils ne pouvait être le sorcier le plus puissant de la famille, il fallait que Célya parte, pour toujours. - Je n'ai rien dit de cela, Dame Edona, intervint la Sorcière de la Rune. Bien au contraire, notre devoir à tous, à présent, est de veiller sur Célya, de l'aimer. Ainsi, nous pouvons espérer qu'elle mettra toujours ses merveilleux pouvoirs au service de justes causes. Puis, elle ajouta d'une voix douce en direction des parents de la petite : - La Magie et les Dieux l'ont envoyée au sein d'un couple heureux, aimant. C'est la meilleure garantie que je puisse avoir sur l'avenir de Célya. Aujourd'hui, en mon nom, je le proclame : Célya ne représente aucun danger. En revanche, quand le temps sera venu, je recommanderai son nom pour intégrer l'Académie de Magie de Paraphe. Ainsi est-il décidé ! Tous les sorciers de la pièce inclinèrent la tête respectueusement. La Sorcière de la Rune avait parlé. Seule, ramassée sur un coin de table, Edona ressassait une sourde colère; non, rien de ce qui venait de se passer n'était juste ! C'est à elle que la vie aurait du sourire, à elle que la Magie aurait du donner toutes les grâces. Pourquoi fallait-il que tout aille à la plus jeune de ses soeurs ? Acerbe, elle ne put s'empêcher de commenter : - Après tous les sacrifices auxquels j'ai consenti, je ne suis récompensée de rien! Le danger public ne risque même pas l'exil immédiat. Les Dieux sont cruels. Toute l'assistance retint son souffle, choquée par les propos de Edona. - Tu parles d'une enfant de quatre ans, grommela Fador, outré. Mais, ce fut encore la Sorcière de la Rune qui vint clore le propos stérile de l'imposante sorcière. - Un coeur sec et dénué de tendresse comme de compassion n'attire pas le regard des Dieux, ni la bienveillance de la Magie. Vous êtes seule responsable de votre destinée et de celle de votre maison, Dame Edona. Il n'y avait plus rien à ajouter. Dans le silence qui était tombé sur la pièce, ce fut Néryne qui la première osa parler. - Je vous remercie, ma Dame, de la bienveillance dont vous avez fait preuve envers ma fille. Avec tout le respect que mon époux et moi-même vous devons, nous allons nous retirer, nous avons une longue route à faire. La Sorcière hocha la tête. Fador et Néryne quittèrent la maison de Edona, tenant leur fille par la main. Mue par un instinct purement enfantin, Célya avait tenu à aller faire un dernier câlin à la Sorcière de la Rune avant de quitter la pièce d'un pas sautillant. Le couple la suivit, Néryne n'accordant même pas un regard à sa soeur. Après tout ce qui s'était dit, le lien familial était rompu, pour toujours. Un vieil adage populaire ne disait-il pas qu'il valait mieux être seul que mal accompagné ? Tandis qu'ils remontaient l'allée en direction des bois, le couple entendit une voix limpide les appeler : - Néryne, Fador, attendez ! Se retournant, ils aperçurent la Sorcière de la Rune qui cherchait à les rattraper. Revenue à leur hauteur, la jeune femme leur dit : - J'imagine que vous ne souhaitiez pas que la couleur de la Rune de Célya soit révélée. Néanmoins, il arrivera un moment où Célya aura besoin de comprendre pourquoi ses pouvoirs sont si effrayants. Puis s'assurant qu'elle ne pourrait être entendue que du couple, elle ajouta d'une voix tendue : - Il y a une chose que j'ai tue, tout à l'heure. Edona n'est que jalousie, elle n'avait pas besoin de savoir qu'en plus de sa couleur, la Rune de Célya a une autre particularité. Voyant les larmes monter aux yeux de Néryne, la Sorcière de la Rune eut un doux sourire : - Vous saviez déjà. Pour tout. - Une enfant si jeune n'a pas à porter un tel fardeau, soupira Fador. - Mes voeux vous accompagnent, allez dans la paix. Les regardant s'éloigner, la Sorcière de la Rune se surprit à adresser une prière aux Dieux et à la Magie. - Puissances divines, veillez sur ces gens et sur la petite. Faites que tout aille bien pour eux, ils méritent d'être épargnés. ------------------------ Loin de là, les Yeux avaient observé toute la scène. Caverneuse, la Voix ne put s'empêcher de commenter, satyrique : - Ne t'en fais pas, petite sorcière, cette petite fille sera protégée, elle est trop importante. ---------------------------- Néryne et Fador ne s'étaient que peu parlés pendant le trajet de retour, perdus dans leurs pensées. Seule devant eux, Célya s'amusait sur le chemin, parfaitement inconsciente de tout ce qui s'était joué autour d'elle. Néryne ne pouvait détacher son regard de la silhouette qui escaladait les grosses branches qui jonchaient le bas côté : quand elle était enceinte, la jeune femme avait espéré de tout son coeur que le bébé soit un sorcier ou une sorcière, elle n'avait pas demandé à ce que sa petite soit destinée à être la plus puissante des sorcières. Fermant les yeux, ce fut une scène depuis longtemps cachée dans sa mémoire qui défila derrière ses paupières closes... ... Trois jours après la naissance de Célya, on avait frappé à la porte. Quand Fador avait ouvert, il s'était trouvé face à la précédente Sorcière de la Rune. D'un âge plus que respectable, le couple s'était demandé ce qui leur valait l'honneur que la Sorcière en personne se soit déplacée alors qu'il était de coutume que ce soit les nouveaux parents qui se rendent à la demeure de la Sorcière. - Dame, c'est un grand honneur avait murmuré Fador en s'inclinant avec respect. Sans même lui rendre son salut, la vieille dame était rentrée dans leur maison et s'était rendue dans la chambre où se reposait Néryne et où dormait le bébé. Se penchant sur le petit être chaudement emmailloté, la Sorcière avait laissé ses mains parcourir le berceau avant de se poser sur le coeur de l'enfant. Quand ce fut fait, la vieille dame avait secoué la tête avant de regagner la pièce principale. S'asseyant, elle s'était tue longuement avant d'expliquer aux jeunes parents surpris la nature de sa démarche. Elle leur avait expliqué avoir été tirée de son sommeil, trois jours auparavant, par un violent sursaut dans la Magie. Elle avait su sans le moindre doute que cela signifiait l'apparition d'une Rune très puissante et qu'à l'onde qui avait parcouru la Magie, il ne pouvait s'agir que d'une Rune Bleue. Néryne et Fador avaient tremblé à cette nouvelle, sachant ce que cela pouvait impliquer dans le futur pour Célya. La suite du discours de la Sorcière avait été une source d'angoisse plus grande encore quand la Sorcière leur avait appris que la Rune de Célya possédait une imperfection et qu'elle ignorait dans quelle mesure cela pourrait avoir une incidence quand Célya essaierait de pratiquer la magie. Néryne et Fador étaient restés un long moment à parler après le départ de la Sorcière de la Rune. Les Runes Bleues étaient extrêmement rares au sein du monde de la Sorcellerie et signe d'une formidable puissance. Dans la région des Hauts Bois, d'où Fador était originaire, on disait même que si une Rune Bleue faisait son apparition, c'était que la Magie se sentait menacée. - Quoi qu'il en soit, avait dit la vieille femme en s'emmitouflant dans son châle pour rentrer chez elle, gardez ce secret pour vous, n'en parlez à personne. Posséder une telle Rune n'est pas qu'un don : elle sera source de crainte et de jalousie. Faites comme si je n'étais jamais venue. Le couple avait suivi le conseil de la vieille femme et avait fait comme si de rien n'était. Et, comme Célya grandissait comme n'importe quel bébé, il leur fut aisé de faire comme s'ils ne savaient rien de la puissante Rune que possédait leur fille. Dans les semaines qui suivirent, la vieille Sorcière mourut. Néryne et Fador étaient donc les deux seules personnes à connaître le secret de la Rune de Célya, du moins l'espéraient-ils.

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