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Le livre des mystères : chapitre 9


Chapitre 9 : La sorcière de la Rune

De nombreuses journées s'écoulèrent sans que Néryne n'entende parler de sa soeur. Bien que Fador passe ses soirées la rassurer, la jeune femme ne pouvait complètement oublier ce qui s'était passé et, elle passait son temps à guetter le chemin menant à sa maison de peur de voir arriver la Sorcière de la Rune. Néanmoins, la route restait déserte pour la plus grande joie de Néryne. De plus, les pouvoirs de Célya semblaient aux-aussi s'être apaisés et, quand la petite s'essayait à la magie, ses entreprises étaient rarement couronnées de succès. Une très longue semaine après l'incident, Néryne se dit que l'orage était passé et qu'elle n'avait plus de raison de se montrer si inquiète. Une nouvelle semaine débuta tout en banalité. Comme chaque début de semaine, Néryne se rendit à son potager afin d'y cueillir des baies de Senlis et des orties jaunes pour confectionner ses onguents de cicatrisation. Tandis qu'elle râlait après les trop nombreuses limaces qui avaient dévoré ses précieuses herbes, elle vit une ombre sortir de la forêt et voler dans sa direction. Se redressant, la jeune femme mit sa main en visière : l'ombre était pourvue de deux ailes couvertes de plumes et avançait en cherchant à se cacher le plus possible des rayons du soleil. Arrivé à sa hauteur, Néryne reconnut Grésil, le hibou messager de la famille d'Edona. Chaque famille de sorciers d'un rang un peu élevé se devait d'avoir un animal messager de son choix, ce qui la distinguait des sorciers mineurs et des communs, sans pouvoir magique. Grésil était à l'image de Dagrégor, l'époux de sa soeur : une créature sèche, au ramage terne, toujours de mauvaise humeur. Sans même saluer Néryne, l'animal se contenta de jeter à terre un rouleau de parchemin et repartit avec soulagement en direction du couvert des bois. Compte tenu de la nature irascible de la bête, les Dieux seuls savaient ce que Edona avait du lui promettre pour le faire sortir de sa tanière en pleine journée. Se baissant pour ramasser le papier maintenant taché de boue, Néryne le déroula. Sur la feuille était écrit un court texte de la main de son aînée. "Chère soeur, Je reconnais avoir eu tort de m'emporter contre ton fille. J'aimerais que nous fassions la paix. Je serais heureuse de t'avoir à dîner dans deux jours; Fador et Célya sont les bienvenus. Edona" Relisant plusieurs fois le message, Néryne ne put s'empêcher de flairer un piège. Edona avait sans doute des qualités mais les remords n'en faisaient pas parti. Elle envisageait de retourner le message accompagné d'une réponse négative quand Fador franchit le portail donnant sur le jardin. Ce dernier enlaça tendrement son épouse avant de remarquer sa mine soucieuse. - Que t'arrive-t-il ? Encore des limaces ? s'amusa ce dernier. - Pas seulement, ma soeur aussi. Fador ne put réprimer un sourire : la comparaison entre sa belle-soeur et l'animal était trop tentante. - Que nous veut ta soeur ? - Elle nous invite à dîner. Ce fut au tour du sorcier d'ouvrir des yeux ronds. - Ta soeur serait-elle victime d'un quelconque maléfice ? - Je l'ignore mais je trouve cela étrange. Je pense que nous ferions mieux de décliner l'invitation. Fador croisa les bras sur son torse : lui aussi était enclin à trouver l'invitation suspecte. Néanmoins, il faisait preuve de plus de pondération. - Ecoute, je suis d'accord avec toi; pourtant, il est rare que Edona essaie de faire preuve de gentillesse. Nous devrions y aller. Devant la mine renfrognée de son épouse, Fador ajouta : - Tu ne seras pas seule, je serai à tes côtés. Bien que dubitative, Néryne finit par se laisser convaincre. Elle avait la faiblesse de croire que sa soeur était sincère cette fois-ci, du moins l'espérait-elle. ----------------------- - Maman, je ne veux pas y aller. Néryne soupira tout en levant les yeux aux ciel : sa fille avait bien choisi son jour pour faire un caprice. Habillée de sa plus jolie robe, ses cheveux roux soigneusement peignés et ornés de rubans multicolores, Célya avait décidé de ne pas se rendre au dîner organisé par sa tante. - Il s'agit d'une question de politesse, Célya. Nous devons nous rendre à cette invitation. - Pour quoi faire ? rétorqua la petite fille en fronçant son nez. Tante Edona ne m'aime pas. Fador jeta un long regard à son épouse : la perspicacité de leur fille n'était déjà plus à prouver. - Voyons, quelle idée ! s'exclama Fador pour désamorcer la situation. Bien sur que Edona t'aime. Au coup de pied rageur qui envoya le caillou le plus proche à plusieurs mètres, le couple comprit que leur petite émettait une sérieuse réserve sur cette remarque. --------------------- Arrivés en haut de l'allée boisée qui marquait l'entrée de la maison de Edona, Néryne et Fador eurent à gérer une nouvelle crise. - Je ne veux pas y aller. Il y a quelque chose de bizarre je vous dis. - Célya, ça suffit ! trancha Néryne. La politesse est la politesse, ce n'est l'affaire que de quelques heures, rien de plus. Tu donnes raison à ta tante en te conduisant comme une petite fille mal élevée. Bougonnant, la petite prit de mauvaise grâce la main qu'on lui tendait et suivit ses parents. A sa décharge, Néryne et Fador trouvèrent, au fur et à mesure qu'ils approchaient de la maison, que l'endroit était bien calme pour un repas de famille. Le couple se trouvant à présent à découvert, il lui était impossible de faire demi-tour sans provoquer un esclandre. Soudain hésitante, Néryne frappa néanmoins à la porte. Elle s'ouvrit sur une Edona toujours aussi imposante et tirée à quatre épingle. - Bonjour Néryne, c'est un plaisir de te voir. - C'est un plaisir aussi, Edona. Cette dernière adressa un bref sourire en direction de son beau-frère qui avait tenté, en une tentative discrète et manquée, de rattraper Célya qui avait voulu profiter des salutations d'usage pour prendre la fuite. - Ne restez pas dehors, vous êtes les bienvenus chez moi. Inclinant la tête en signe de remerciement, le couple pénétra dans le demeure. A peine la porte se fut-elle refermée qu'ils comprirent que l'invitation n'était qu'une ruse. Dans la masure où brûlait un bon feu, rien n'avait été préparé pour un repas de fête. Certes, la maison était rutilante mais aucun couvert n'était dressé. Et le silence pesant qui régnait dans la salle à manger était effrayant. Alors, tournant les yeux, Néryne la vit. Le dos droit, vêtue de ses robes noires striées d'argent, ses cheveux retenus par des épingles où s'agitaient des croissants de lune, son aura magique emplissait la pièce. Elle salua le couple d'un bref coup de menton. - Dame Néryne, Maître Forgeron Fador. - Sorcière de la Rune, c'est un honneur pour nous. Néryne serra les poings avec colère. Célya avait eu plus de bon sens qu'elle et son époux réunis, ils étaient bel et bien tombés dans un traquenard. Et si la jeune femme avait fait preuve de respect vis-à-vis de la puissante Sorcière, elle fit preuve de beaucoup moins de déférence envers son aînée. - Comment as-tu pu faire une chose pareille ? C'est une trahison que je ne pourrai jamais te pardonner. - Il le fallait Néryne ! rétorqua Edona de sa voix la plus autoritaire. Quelque chose ne va pas avec ta fille. Ce qu'elle a fait l'autre jour n'était pas normal pour une enfant de cet âge. Et pourquoi ton mari et toi n'avez-vous pas fait venir la Sorcière de la Rune après la naissance de Célya comme le veut la coutume ? - Cela ne te regarde en rien ! trancha Fador d'une voix glaciale. - Et ceci est une affaire de femme, rétorqua la soeur de Néryne. - Il suffit ! La voix claire et autoritaire de la Sorcière de la Rune mit fin à l'altercation. La jeune femme se leva, lissant sa robe. Elle était jeune pour occuper une telle fonction, d'ordinaire attribuée à des sorcières d'un âge plus avancé. Se tournant vers le couple, la jeune femme leur dit : - Rien de ce qui se dira ou se passera ici ne sera révélé, j'en fait le serment. Et si une personne de cette assemblée trahit le moindre secret, elle sera maudite. Là aussi, j'en fait le serment. Achevant sa phrase, elle leva la main en prononçant une formule. L'air vibra dans la pièce et l'ensemble des sorciers présents comprit que le sort venait d'être lancé. Les Sorcières de la Rune possédaient une magie ancienne et, il ne viendrait à personne de censée l'idée de défier un sortilège lancé par l'une de ces femmes. Le geste de la Sorcière eut pour effet de diminuer un peu l'angoisse de Néryne mais, ce qui allait suivre ne lui plaisait guère. - A présent, j'aimerais voir l'enfant. Toutes les personnes de la pièce s'écartèrent pour révéler Célya dans sa jolie robe claire qui s'amusait avec un chaton près de la cheminée. La petite s'était faufilée dans un coin, soucieuse de se faire oublier. S'agenouillant pour se mettre à la hauteur de la petite fille, la Sorcière lui tendit la main en parlant d'une voix douce : - Viens petite, tu n'as rien à craindre de moi. Célya resta à se balancer sur ses pieds, circonspecte. Quelque chose lui disait que la jolie dame impressionnante ne lui ferait pas de mal mais, dans le même temps, sa petite voix intérieure lui soufflait qu'elle ne devait pas y aller, que sa vie serait bouleversée pour toujours. Ne sachant que faire, la petite se tourna vers ses parents. - Maman, papa ? Sentant la grande fébrilité de son épouse, ce fut Fador qui se pencha vers sa fille. - Fais ce que te demande la Dame ma chérie. C'est une grande Sorcière et elle ne te fera pas de mal, c'est promis. Va, sois une grande fille. - D'accord. Célya s'avança vers la Sorcière de la Rune sans se rendre compte du silence de mort qui étouffait à nouveau la pièce. Arrivée à hauteur de la Sorcière, la jeune femme lui dit : - Tu vas me donner ta main et, toutes les deux, nous allons faire de la magie; ça te tente ? - Oui ! cria Célya tout à son enthousiasme. - Très bien ! Et à la fin, nous saurons quelle est la couleur de ta Rune. Confiante, la petite tendit sa petite main à la puissante Sorcière. La saisissant, la jeune femme ferma les yeux et partit à la recherche de la Rune de Célya. Les premières secondes, elle ne discerna rien de particulier, ce qui était une bonne nouvelle. Les parents de la petite fille pouvaient se rassurer, elle allait très bien. Mais, rapidement, la Sorcière de la Rune constata une anomalie : plus elle approchait de la Rune de Célya, plus elle fut confrontée à des ondes de pouvoir d'une force inouïe pour enfant de cet âge. Renforçant ses protections afin de pouvoir poursuivre sa progression, elle acquit une certitude : la petite fille serait une très puissante sorcière. Et enfin, au coeur de la puissante magie brute de l'enfant, la Rune parut. La Sorcière de la Rune relâcha la main de Célya avec un hoquet de stupeur. Un court moment, la jeune femme resta à dévisager la petite fille en face d'elle. Seul le crépitement des flammes osait troubler le silence, silence mal interprété par une partie de l'assistance. Edona cherchait à comprendre la réaction de la Sorcière : qu'avait-elle vu ? Avec un sourire suffisant, la soeur de Néryne imagina que sa petite nièce n'avait pas de Rune et que le sort qu'elle avait lancé n'était que le fruit du hasard. Puis, une autre idée s'immisça dans son esprit : et si Célya possédait une Rune de Ténèbres ? Cela pourrait aussi expliquer la réaction de la Sorcière de la Rune. Dans ce cas, Néryne et Fador seraient obligés de faire museler les pouvoirs de leur fille... Festyfère serait alors le sorcier en devenir le plus puissant de la famille. Coupant court à ses réflexions, Edona entreprit de questionner la puissante Sorcière. - Ma Dame, vous allez bien ? - Oui, tout va bien, dit la jeune femme en clignant des yeux et en revenant à la réalité. Accordant un doux sourire à Célya (ce qui conforta Edona dans l'idée que sa soeur et son beau-frère allaient apprendre une mauvaise nouvelle), la jeune femme lui dit : - Merci de ta confiance Célya, tu peux retourner jouer, tu as été parfaite. - Je t'aime beaucoup Madame, s'écria la petite fille en se jetant au cou de la Sorcière de la Rune qui lui rendit son accolade sans être vexée du manque de respect du à son rang. Une fois la petite partie jouer dans une pièce voisine, la Sorcière de la Rune afficha une mine plus grave. - Fador, Néryne, ce que j'ai découvert est important. Il va falloir vous préparer à vous séparer de Célya. Imperceptiblement, Edona se redressa : une de ses hypothèses était donc la bonne. Néryne, pour sa part, s'était postée entre la Sorcière et la porte de la pièce où se trouvait maintenant sa fille. - J'ignore ce que vous avez vu, ma Dame, intervint Fador, mais rien ni personne ne nos prendra notre fille. - Vous n'aurez pas le choix. Dans l'avenir, il faudra la confier à l'Académie de Magie de Paraphe. Edona crispa ses mains sur une chaise : l'Académie de la capitale n'acceptait que des futurs sorciers dont les talents magiques dépassaient ceux de la majorité des sorciers. La Sorcière n'avait pas fait une telle prédiction pour son fils. - Comprenez-moi bien. Célya ne va pas être puissante mais très puissante, bien plus que tout ce que j'ai pu voir depuis que j'ai accédé à cette noble fonction. Elle aura besoin d'être encadrée et accompagnée. - C'est un peu beaucoup pour une Rune Rouge, grommela Edona dans son coin. - Je ne parle pas d'une Rune Rouge, Dame Edona, dit la Sorcière de la Rune, acide. Je parle d'une Rune bleue.

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