Le livre des mystères : chapitre 8
Chapitre 8 : Le sortilège
Célya serra les poings : elle était seule face à ses cousins, elle ne pouvait rien faire; elle allait encore recevoir une magistrale correction. La petite fille sentit des larmes de colère lui monter aux yeux quand soudain, la petite voix résonna dans son esprit :
- On va leur jouer un drôle de tour ! Pense à une couleur et à un animal.
Célya se figea : jamais sa petite voix ne lui avait demander une chose pareille et pourtant, elle savait qu'elle pouvait lui faire confiance. Fronçant le nez, fermant les yeux, la petite fille chercha dans sa tête ce qui effraierait le plus ses horribles cousins. Des serpents ! Ils avaient tous peur des serpents.
- Qu'est-ce que tu fais, Célya le bébé ? ricana Festyfère. Tu crois qu'on va disparaitre ? Comme par magie ?
La petite fille n'écouta pas, trop occupée à chercher dans ses souvenirs l'image du serpent le plus effrayant qui soit.
- Alors, tu...
Festyfère ne finit pas sa phrase qui s'acheva dans un hurlement, repris en écho par les autres enfants du groupe. Alertée par ce bruit incongru, Edona, qui se trouvait avec ses poules, accourut dans l'arrière-cour.
Festyfère ne criait jamais, encore moins de peur. Une fois qu'elle les eut rejoints, elle se figea elle aussi, terrorisée un instant : trois de ses garçons et deux de ses neveux étaient tassés dans un coin; face à eux, deux crotales des sables dressaient leurs immenses corps écailleux. Leurs gueules grandes ouvertes dévoilaient d'imposants crochets. Cette espèce rare était venimeuse et mortelle.
Edona réfléchit rapidement à tirer les garçons de ce faux pas : un seul geste maladroit et la morsure serait inévitable. Pourtant, un détail ne collait pas : cette espèce ne vivait que dans les contrées les plus chaudes d'Alynéa; Retrait-à-La-Marge tout comme Trykéa se trouvait trop au nord pour abriter une colonie de ce genre de serpent. Il ne restait donc qu'une possibilité : les serpents étaient arrivés là par magie. Soudain, la mère de Festyfère eut une inspiration : utilisant ses pouvoirs, elle analysa la nature de l'animal et agrandit les yeux. De la magie ! Les deux serpents n'étaient que deux illusions particulièrement réalistes.
Edona réfléchit un instant : de tous les enfants présents, seul Festyfère avait révélé sa magie et ni son âge, ni la couleur de sa Rune ne lui permettaient de lancer un sort si parfait. Il était forcément l'oeuvre d'un sorcier plus âgé ayant commencé sa formation.
Suivant la signature laissée par le sort, Edona n'eut aucun mal à identifier le sorcier ; elle sentit alors sa mâchoire inférieure s'affaisser : Célya ! Le lanceur de sort, c'était Célya. L'imposante sorcière demeura interdite : comment sa nièce, déjà trop jolie à son goût, pouvait-elle être en plus une sorcière déjà si puissante ? D'autant que d'après Néryne, la petite n'avait pas encore rencontré la Sorcière de la Rune, ce qui était déjà une anomalie en soi.
Sans avoir le talent particulier de cette sorcière, Edona passa en revue ce qu'elle savait des capacités fondamentales de chacune des pierres magiques : aucune ne lui semblait correspondre à ce que Célya était en train de faire. Ce qui s'en rapprochait le plus était le vert et, dans cette hypothèse, cela ferait de la gamine la sorcière la plus puissante de la famille depuis trois générations.
Agacée par cette simple idée, Edona se dirigea vers la petite fille. La saisissant par un bras, , elle la secoua violemment, brisant par la même sa concentration. Aussitôt, les deux serpents s'effondrèrent en deux simples tas de sable.
Terrorisés, Festyfère et ses cousins détalèrent sans demander leur reste : quand sa mère faisait cette tête, il recevait en général une bonne raclée dans les minutes qui suivaient, du genre qui l'empêchait de s'asseoir pendant plusieurs jours. Essuyant son nez du revers de sa main, le petit garçon se dit que sa cousine allait payer ce qu'elle lui avait fait.
Dans la cour, la situation pour Célya n'était guère reluisante : sa tante la secouait brutalement, ce qui l'effrayait au point de ne pouvoir répondre à ses questions :
- Réponds Célya ! Où as-tu appris à faire ça ? Comment fais-tu ?
- Je ne sais pas ma tante ! Je ne sais pas ! cria la petite fille en pleurant de plus belle.
- Menteuse en plus; j'exige des réponses Célya, ne m'oblige pas à te donner une bonne correction pour te faire parler.
- Puisque je te dis que je ne sais pas !
- Tu l'auras cherchée !
- Tu ne feras rien du tout !
Célya ouvrit les yeux qu'elle avait fermés de peu de recevoir une gifle. Elle sentit des larmes de soulagement lui monter aux yeux : sa mère se tenait dans la cour, à quelques pas d'elle. La petite fille détala pour se réfugier derrière sa maman. Néryne était furieuse; faisant face à sa soeur aînée, elle lui lança sèchement :
- Je savais que tu n'aimais pas ma fille, Edona, mais ne t'avise jamais de lever la main sur elle.
- Elle me répond et elle me ment.
- Célya n'est pas Festyfère, ma fille n'est pas une menteuse.
- Je t'interdis.
- Tu ne m'interdiras rien du tout ! s'emporta la jeune femme. Je connais ma fille.
- Elle a lancé un sort et me dit ne pas savoir comment elle a fait. Soit elle ment, soit elle est sotte.
- Assez !
Edona recula d'un pas en sentant l'air vibrer autour d'elle. Il semblait que sa jeune soeur soit en train de s'émanciper définitivement de l'influence familiale. Il n'en restait pas moins que quelque chose clochait avec Célya. Tous les parents, une fois leur enfant né, attendait avec impatience la venue de la Sorcière de la Rune; il était étrange que Fador et Néryne ne l'aient jamais fait pour leur fille. A moins qu'ils veuillent cacher quelque chose.
Pendant ce temps, Néryne avait pris sa fille dans ses bras; se dirigeant vers la maison de sa soeur, elle alla récupérer la cape et le sac de l'enfant. Une fois rassemblées les affaires de la fillette, elle fit demi-tour pour se retrouver bloquer sur le seuil de la maison par son aînée.
- Attends Néryne, il faut que nous parlions.
- Je n'ai rien à te dire à part que tu ne garderas plus Célya.
- Et comment feras-tu quand il s'agira de te déplacer pour aller soigner un malade ?
- Je me débrouillerai; il y a longtemps que j'aurais du cesser de te confier ma fille.
- Qu'a cette petite de particulier ?
Néryne fit face à Edona : cela faisait quatre ans qu'elle éludait la question, pour le bien de son enfant.
- Célya n'a rien de particulier. Maintenant, laisse-moi passer.
- Tous les parents se font une joie de la visite de la Sorcière de la Rune. Célya est la seule petite fille de la région à ne l'avoir jamais rencontrée. Pendant longtemps, j'ai cru qu'elle avait reçu la visite de la Sorcière et qu'elle vous avait annoncé que Célya n'avait pas de pouvoir. Mais, après ce que j'ai vu aujourd'hui, elle est non seulement sorcière mais avec une couleur de Rune élevée. Quelle est cette couleur Néryne ?
La jeune femme serra les dents et se terra dans un mutisme complet : personne ne devait savoir pour Célya, du moins jusqu'à ce que la petite soit en âge de maîtriser sa magie. La couleur de sa Rune serait source de trop d'angoisses. Reprenant la petite dans ses bras, Néryne sortit de la maison en bousculant son aînée, ce qui ne fit qu'accentuer la curiosité de cette dernière.
Sur le chemin du retour, Néryne ne desserra pas les lèvres. L'angoisse lui retournait l'estomac : la Magie était capricieuse, pourquoi avait-il fallu que le don de Célya se manifeste en pareilles circonstances ?
- Maman, je suis désolée.
La jeune femme sursauta en entendant la voix de sa fille. La regardant, elle remarqua alors que les yeux de Célya étaient remplis de larmes. La petite avait bien compris que quelque chose n'allait pas et contrariait sa mère.
- Tu n'as pas à l'être Célya, ce n'est pas ta faute. Tu es la plus adorable et la plus forte des petites filles et, un jour, tu seras une grande sorcière.
Le début de larmes se tarit instantanément pour faire place à un sourire plein de fossettes. Néryne sentit son cour se serrer : comment expliquer à une enfant si jeune que ses pouvoirs seraient une source de terreur. Mieux valait espérer qu'Edona n'ébruite pas l'incident autour d'elle.