Le livre des mystère : chapitre 7
Chapitre 7 : Histoire de famille
De son père, elle avait héritée d'une solide constitution; de sa mère, ses somptueux yeux verts. En revanche, elle avait une particularité physique qui la rendait remarquable : des cheveux roux mais, pas un roux terne semblable à celui d'une carotte fraîchement sortie de terre.
C'était un roux étincelant, semblable à du cuivre tout juste frappé. Les jours de plein soleil, on aurait dit que la petite était couronnée de feu. Bénie par la Lune, choyée par le Soleil, les parents de Célya se sentaient comblés par les Dieux. Seule la famille de Néryne avait fait de la couleur de cheveux atypique de la petite une source de quolibets et de commérages. - A se demander si Fador en est bien le père ! ne cessait d'ironiser la mère de Célya. Bien que blessée, Néryne préférait ne pas répondre. Plus calme que ses soeurs, la jeune femme n'avait pas eu que de bons et beaux moments dans sa famille et, le fait d'avoir épousé un homme qui ne convenait pas à ses parents et d'avoir eu du mal à avoir un enfant n'avaient en rien arrangé les choses. Et, comme une triste répétition, Célya avait parfois de relations tendues avec ses nombreux cousins et cousines. Plus âgés, plus nombreux, certains avaient déjà commencé à travailler leurs pouvoirs magiques. Edona, la cadette de la famille, était suffisamment fière de répéter que son petit Festyfère, brute en puissance qui allait fêter son septième printemps, possédait une Rune rouge et que, d'après la Sorcière de la Rune, il serait sans doute le plus grand Mage du Feu de sa génération. Quoi qu'il en soit, il passait son temps à jouer les tours les plus mesquins à la plus jeune des filles de la famille , pour l'heure incapable de se défendre et qui ne trouvait quasi aucun secours auprès des adultes. De fait, Néryne et Fador ne confiaient leur fille à ses tantes et à sa grand-mère que lorsqu'ils ne pouvaient faire autrement et, invariablement, ils récupéraient leur petite fille en larmes, incapable de comprendre ce qui faisait d'elle la cible de tant de méchanceté. Le couple, lui, savait qu'il s'agissait d'une ridicule histoire de jalousie mal placée : Néryne était la plus jolie et la plus talentueuse sorcière de sa famille, son indépendance d'esprit et sa gentillesse étaient des forces qui lui avaient toujours permis d'imposer ses idées et ses envies. Célya était jolie comme sa mère et , les moqueries et rebuffades dont elle était l'objet ne lui faisait pas baisser les yeux. De telles qualités ne convenaient pas à la mère de Néryne et à ses soeurs aînées qui aimaient se savoir supérieures. Aussi, ce matin-là, quand Néryne annonça à sa fille qu'elle devait passer la journée chez sa tante Edona car elle devait aller aider à l'hôpital du village, Célya fondit en larmes : - Je ne veux pas Maman, s'il te plaît ! Je peux rester seule, je suis grande maintenant. Soupirant, le coeur brisé, Néryne fit face à la petite tête rousse baissée. - Je sais ma chérie, mais comme tu le sais je ne peux pas t'emmener avec moi à l'hôpital. Ce n'est pas un endroit pour une petite fille. - Je serai très sage, s'il te plaît. Je ne veux pas aller chez tante Edona; Festyfère est méchant. - C'est vrai qu'il n'est pas très sage mais tu ne seras pas obligée de jouer avec lui. Tu pourras aller jouer avec tes cousines au fond du jardin, la journée va vite passer, je te le promets. Allez, mets tes sandales et vient, plus vite je suis à l'hôpital, plus vite je viendrais te récupérer. Reniflant, Célya mit ses chaussures. Pas les plus belles, la petite savait pertinemment que son cousin trouverait une idée pour les lui abîmer. Saisissant sa vieille cape de la saison dernière, elle suivit sa maman de mauvaise grâce. Sur le chemin, Néryne ne parvint pas à obtenir un mot de la part de sa fille. La jeune femme en avait le coeur brisé : elle ne parvenait pas à comprendre comment des adultes pouvaient faire preuve d'une telle bêtise vis-à-vis d'une enfant. Si elle avait pu, elle aurait gardé sa fille auprès d'elle mais, elle savait qu'elle risquait d'approcher des malades atteints de fièvres contagieuses. Il n'était pas question de prendre le risque que Célya tombe malade. Ce fut dans un silence glacial que Néryne franchit le portail de la maison de sa soeur. La jeune femme avait les larmes aux yeux quand elle frappa à la porte de la maison. - J'arrive ! cria une voix bourrue. Célya serra la main de sa mère au point de se faire mal. - Maman, s'il te plaît ! - Chut. La petite fille serra les dents en baissant les yeux, elle ne voulait pas que sa tante voit ses larmes. Comme elle cherchait une excuse pour ne pas rester, elle entendit une petite voix dans sa tête : - Tu n'as rien à craindre de cette femme, Célya. Elle ne maîtrise que des sorts mineurs, frustrée qu'elle est de ne pas être une grande sorcière. Elle te craint déjà. Célya se sentit un peu réconfortée par sa petite voix intérieure. Elle ne savait ce qu'elle était, ni d'où elle venait mais cette curieuse petite voix faisait parti d'elle. - Bonjour Néryne. - Bonjour, chère soeur. La petite fille sortit de sa rêverie en sentant sa mère lui secouer la main. Levant les yeux sur le visage fermé de sa tante, l'enfant balbutia : - Bonjour ma tante. - Bonjour Célya. Un peu plus grande que Néryne, Edona était beaucoup plus corpulente que sa jeune soeur. Ses traits épais et irréguliers associés à des cheveux bruns filasses attachés en un rapide chignon mal tenu lui donnait constamment un air revêche de mauvaise Sorcière du Nord. Cette dernière posa un regard sévère sur sa nièce : cette enfant était pour elle une source de colère permanente. Pourquoi fallait-il que ce soit sa jeune soeur qui est accouchée d'une fille alors qu'elle, qui ne rêvait que de ça, avait donné naissance à sept garçons ? Pourquoi était-ce sa jeune soeur qui avait épousé un homme droit, protecteur et attentionné quand elle était marié à un rustre de comptable, sans pouvoir et radin par dessus le marché ? Pourquoi était-ce sa jeune soeur qui avait hérité du don de Guérison quand elle était tout juste capable de faire apparaître du pain ? Rien de ce qui lui arrivait n'était juste et, perdue dans ses aigreurs, Edona trouvait presque normal de passer ses nerfs sur une enfant de tout juste quatre ans. - Merci de garder Célya, je ne rentrerai pas tard. - Prends ton temps, c'est toujours un plaisir de la garder, minauda Edona avec fausseté. Cette petite est si calme qu'on pourrait facilement l'oublier dans un coin. Braquant ses yeux noirs sur la petite fille qui rentra un peu plus encore la tête dans les épaules, la soeur de Néryne crut bon d'ajouter : - Je compte sur toi pour être aussi gentille que d'habitude. Tu peux entrer, ton cousin t'attend. Lâchant la main de sa mère, Célya fit un pas en direction de la salle à manger où son cousin, le terrible Festyfère, était occupé à broyer des noix. Un rictus barra son visage quand il salua sa jeune cousine. - Ma Célya, dit Néryne en s'agenouillant. Passe une bonne journée, je serai vite là. Sois forte. - Oui Maman, je t'aime. - Moi aussi, plus que tout mon bonheur. Après un dernier énorme câlin, Néryne se détacha de sa fille et tourna les talons, le coeur en miettes. Arrivée au bout du sentier, elle se surprit à invoquer la Magie et les Dieux que la journée se passe bien. ---------------------- Loin de là, les Yeux avaient observé la scène. Amusés par l'attitude consternée de la pauvre Néryne, la Voix avait fait un simple commentaire : - N'aie crainte, petite sorcière, ta fille n'est pas en danger, je t'en fais la promesse. --------------------- A peine Néryne eut-elle disparu à l'orée de la forêt qu'Edona saisit brutalement sa nièce par l'épaule. La faisant entrer sans ménagement à l'intérieur, elle jeta dans un coin le sac de toile que Néryne avait laissé pour sa fille. - Je ne veux pas t'entendre, gronda la grosse femme. Et je t'interdis de t'amuser avec les jouets des autres. Fais-toi oublier, au moins jusqu'à l'heure du déjeuner. - Oui, ma tante, balbutia Célya. - File. La petite fille détala sans demander son reste. Elle était habituée à ce que sa tante ne s'occupe pas d'elle et, de son jeune point de vue, c'était beaucoup mieux comme ça. Elle était mieux dehors, en particulier dans le potager qui lui rappelait un peu celui de sa maison. Sauf que le potager de ses parents était bien mieux entretenu, sa maman n'aurait jamais accepté que les mauvaises herbes envahissent les carottes, les choux et les plantes médicinales. Comme les autres enfants, obéissants au doigt et à l'oeil à Festyfère, ne s'amusaient presque jamais avec elle sauf pour lui jouer des mauvais tours, la petite fille s'était prise de pitié pour ce pauvre jardin à l'abandon; Célya s'était mise en tête de le nettoyer petit peu par petit peu. Elle était si absorbée par sa tâche qu'elle remarqua un peu tard que l'heure du déjeuner était avancée. Détalant en direction de la maison, prenant juste le temps de s'arrêter à un point d'eau pour se débarbouiller, la petite fille arriva à table alors que Edona était déjà en train de débarrasser le plat. En train de dévorer ce qui devait être le déjeuner de Célya, Festyfère afficha un sourire carnassier : sa jeune cousine allait encore se faire gronder. - D'où sors-tu, petite sotte ? gronda Edona. Crois-tu que je vais attendre toute la journée que Dame Célya veuille bien se joindre à nous pour déjeuner ? - Pardon ma tante, je... Célya se mordit la lèvre : quelque chose lui disait que si elle parlait de ce qu'elle faisait dans le potager, cela finirait par se retourner contre elle. Mieux valait mentir. - J'étais dans l'étable, je n'ai pas vu l'heure, pardon. Edona ne chercha pas à savoir si cette histoire était vraie ou non : Célya était arrivée en retard, tant pis pour elle ! Elle n'aurait que ce qui restait. - Je pensais que tu avais mangé de ton côté, il me reste un peu de pain, dit Edona avec suffisance en tendant un morceau à la petite dont l'estomac grognait. Tu n'auras que ça pour le moment, file. Serrant la petite tranche contre elle, Célya fila en direction de la cour. Sûre d'être seule, la petite grignota le morceau de pain en laissant couler ses larmes. Pourquoi sa tante la détestait-elle à ce point ? Elle ne lui avait jamais rien fait. Cela était incompréhensible du haut de ses quatre ans. Combien de temps la petite resta-t-elle assise seule le long de la grange ? Elle n'en savait rien. Fatiguée, l'estomac creux, elle revint vers la maison en espérant n'y trouver personne; alors, peut-être, elle pourrait se fondre dans un coin en attendant le retour de sa mère. Arrivée devant la porte, celle-ci était ouverte. Risquant un regard à l'intérieur, la petit fille fut soulagée de n'y voir personne. Comme elle s'apprêtait à fureter dans la pièce pour se trouver un endroit où se cacher, son regard s'arrêta sur le sac laissé par sa mère. Ce dernier était ouvert; dubitative, Célya jeta un coup d'oeil dedans et, pour la première fois de sa jeune vie, elle sentit une terrible colère s'emparer d'elle : dans le sac, il y avait un reste de brioche entamée. Sa mère avait du sentir quelque chose et lui avait laissé un goûter dont il ne restait presque rien. Et, au fond du sac, la petite reconnut un petit fichu à fleurs. Son petit coeur fit un bond : c'était le fichu d'une de ses poupées de chiffon. Une seule personne avait pu fouiller dans ses affaires : Festyfère. Sortant de la bâtisse, la petite fille entreprit d'en faire le tour à la recherche de son odieux cousin. Peu lui importait ce qui allait se passer, Festyfère méritait une correction. Célya ne mit pas longtemps à retrouver le petit garçon joufflu. Il se tenait entouré d'une partie de leurs cousins et cousines. Ricanant, ils n'avaient pas vu Célya. Aussi sursautèrent-ils quand ils entendirent une petite voix leur crier : - Maintenant ça suffit ! Et rends-moi ma poupée ! Le petit groupe s'écarta pour laisser Célya et Festyfère se faire face. - Je ne te la rendrais pas, dit le petit garçon avec un rire sournois. Maman dit que tout ce qui est à toi est à moi quand tu es chez nous. - Non, ce sont mes jouets, pas les tiens. Pour la première fois, les autres enfants du groupe se jetèrent des regards interloqués : personne ne répondait à Festyfère sous peine de prendre une bonne correction. Carrant les épaules, le petit garçon avança d'un pas : - Excuse-toi tout de suite ou sinon, tu vas le regretter. Tu vas prendre une bonne fessée et tu feras moins ton intéressante. - Mon papa dit qu'il n'y a que les faibles qui frappent pour se faire respecter et que jamais la brise ne se souvient de leur nom. Le silence tomba sur l'arrière-court. Festyfère soufflait par le nez comme un jeune boeuf : jamais encore on ne lui avait tenu tête. Tant pis, puisque Célya ne voulait pas céder, il allait bien réussir à la faire pleurer. Il prit la tête de la poupée entre ses mains et tira d'un coup sec. - Tu es méchant, renifla Célya, désespérée. C'est toi qui mérite une bonne correction. - Et qu'est-ce que tu vas faire ? ricana Festyfère en jetant sur le sol la poupée déchirée. T'es qu'un bébé sans pouvoir. - Si, j'ai des pouvoirs et je serai une grande sorcière et c'est toi qui pleurera comme un bébé. - T'auras jamais de pouvoir ! Ma maman, elle dit que les gens qui ont des cheveux comme les tiens n'ont pas de pouvoir. - Elle n'y connait rien ta maman. - Alors, fais-nous de la magie pour voir !