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Le livre des mystères : chapitre 2


Chapitre 2 : un voleur à l'Académie

À nouveau, de longues semaines s'écoulèrent à l'Académie de Magie sans que rien ne vienne troubler la tranquillité des lieux ni l'apprentissage des élèves. Avec l'arrivée du printemps, on retrouva la traditionnelle hausse de fréquentation de l'infirmerie due au retour des cours en extérieur. Arrivaient en tête de liste les fractures résultant des chutes de balai et quantité de brûlures suite à la pratique des sorts pyrotechniques (en particulier les jours de grand vent). Quoiqu'il en soit, l'ensemble du personnel médical de l'Académie ne chômait pas et espérait avoir rapidement un bon coup de pluie pour obliger les professeurs, y compris les plus obstinés, à rentrer dans leurs salles de classe où les risques d'accidents étaient plus limités. Néanmoins, cela n'empêchait pas les élèves les plus aventureux de s'essayer à des sorts trop complexes : pour preuve, un groupe d'une bonne douzaine de troisième année venait d'être amené en urgences à l'infirmerie; l'ensemble de leurs camarades de promotion pouvaient certifier qu'ils s'étaient levés sans nageoires le matin même... Tandis que les infirmières soupiraient lourdement devant cette nouvelle charge de travail, on entendit soudain Rififi, génial professeur en charge des sorts de Feu, répondre à tout bout de champ : - Je n'y peux rien si les Première Année n'écoutent pas quand on leur parle ! Depuis toujours, la magie du Feu exerçait une sorte de fascination sur les jeunes étudiants. Et, en dépit des mises en garde de Rififi et de ses confrères, tous les ans l'infirmerie se remplissaient de Première Année brûlés plus ou moins sévèrement pour avoir joué aux grands sorciers. Néanmoins, Efylia et son équipe étaient rodées : le double d'onguents et de pansements étaient prévus pour les soirs de vent, comme si tous les débutants se décidaient à travailler leur sorts ces soirs-là. - Il est de votre devoir, Mage, de leur enseigner une once de prudence, rétorqua Efylia, infirmière en chef en se penchant sur une jeune sorcière encore toute sanglotante. - La prudence oui, le bon sens non ! De passage par l'aile médicale du bâtiment principal de l'Académie, Archibald sourit à cet échange. Efylia était habituée aux débordements consécutifs aux cours de certains professeurs, ses emportements étaient légendaires au sein de l'Académie de Paraphe. Le vieux sorcier s'avança vers l'infirmière en chef. Efylia était une femme dans la force de l'âge. Petite, brune aux yeux noisette pailletés d'or, tout en elle rappelait ses ancêtres issus des peuples de la Terre et des Cavernes. De cette noble ascendance, elle avait hérité un bon sens affirmé, la tête sur les épaules et un caractère à la limite du rocailleux. La jeune femme n'avait pas fait l'intégralité de ses études à l'Académie, elle s'était formée auprès des Sorcières de la Montagne dont les compétences en matière de magie des Soins n'étaient plus à prouver. Elle était arrivée en cours de septième année et son sens pratique avait rapidement impressionné ses professeurs qui la voyait déjà Mage. Mais l'enseignement purement théorique n'intéressait pas Efylia ce qui avait amené Archibald à lui confier très tôt ce poste à responsabilités : en plus d'être une femme forte, sa connaissance des remèdes de la Montagne et son niveau en magie de la Guérison faisait d'elle une ressource indispensable. Archibald en était venu à la considérer un peu comme la fille qu'il n'avait jamais eue. - Et bien, jeune Efylia, qu'à encore fait Rififi pour échauffer votre humeur ? - Rien de particulier, Maître. J'aimerais que cet homme ait plus de bon sens pour en donner à ses jeunes élèves; mon stock d'onguents contre les brûlures ne s'en porterait que mieux ! Le commentaire fut suivi d'un grommellement et d'une vague odeur de fumée, preuve que le professeur de sortilèges du Feu avait tout entendu. - Comment feront-ils de bons sorciers de combat s'ils ne s'entraînent pas dès le plus jeune âge ? rétorqua le moustachu en tournant les talons et en expédiant une boule de feu mineure sur une pauvre tenture. Un peu comme Efylia, Rififi était un bonhomme trapu à la carrure impressionnante. Haut en couleur, il se plaisait à raconter que ses ancêtres remontaient jusqu'à la race légendaire des Nains (ce qui restait à prouver). Il avait grandi au pied du Volcan ce qui lui avait laissé, comme à tout ceux de son peuple, un tempérament plutôt explosif. Si ses colères avaient fait faire des cauchemars à des générations d'étudiants, il était en revanche un très bon professeur chargé d'enseigner la Magie du Feu (option combat) à partir du niveau Cinquième Année. On lui demandait une à deux fois par an d'enseigner aux Première Année, ce qui entraînait de façon récurrente une forte hausse de la fréquentation de l'infirmerie (comme on l'aura compris). - Il s'en remettra, ne vous inquiétez pas. Rififi est un peu tout feu, tout flamme, si je puis me permettre. L'infirmière en chef sourit à cette remarque. Puis, ses traits se firent graves à nouveau. - Vous êtes rarement si sérieuse; une épidémie est-elle à craindre ? - Non Maître, fort heureusement. Néanmoins, cela fait plusieurs fois, ces dernières semaines, que l'une de mes assistantes constate la disparition de certains ingrédients dans mes réserves. Archibald leva un sourcil broussailleux : il y avait déjà eu des vols ou des tentatives de larcins au sein de l'Académie; des potions, des ingrédients, des livres, des vêtements, de la nourriture le plus souvent mais jamais avec une telle fréquence. - Si vous m'en parlez sans passer par mes confrères ou l'intendant général, c'est que les vols concernent quelque chose d'important. - Ils concernent le Coffre, Maître. Archibald arrêta sa marche. Le "Coffre" était le surnom donné à un simple placard soigneusement caché au fin fond de la salle des Réserves : il contenait des ingrédients rares, précieux et surtout, dangereux. - Qu'est-ce qui a disparu ? - De l'essence noire, de la poudre de marche-buse et une fiole de larmes blanches. Le vieux directeur opina du chef : certes, ces ingrédients étaient rares et chers mais, ils ne constituaient pas ensemble les ingrédients de base d'une potion ou d'un sort malveillant. Peut-être le voleur voulait-il simplement prouver qu'il était capable de commettre un tel forfait. Le "Coffre" était protégé par de puissants sortilèges, il fallait donc être un élève d'un rang élevé, puissant et talentueux pour y être parvenu. Ou bien un professeur. A cette pensée, Maître Archibald ne put réprimer un frisson : Rozgor avait très largement les capacités pour franchir les protections mises en place et s'il l'avait fait , qu'elles avaient été ses motivations ? Archibald secoua la tête, l'âge le rendait paranoïaque. Le professeur de sortilèges pouvait avoir accès au Coffre quand il le souhaitait. - Procédez à une analyse de signature magique, demanda le directeur. Même s'il s'agit d'une sorte d'exploit recherché par un élève talentueux, nous ne pouvons laisser tous nos élèves croire qu'ils peuvent commettre des larcins en toute impunité. Maître Archibald gagna son bureau, perdu dans ses réflexions. Encore une fois, ces ingrédients seuls ne représentaient rien. En revanche, incorporés à différentes préparations, ils représentaient un danger potentiel. Néanmoins, seuls les élèves arrivés dans les dernières années de leur apprentissage pouvaient les manipuler et sous étroite surveillance. En revanche, en ce qui concernait les professeurs... Ses pensées, une nouvelle fois, filèrent vers Rozgor. Depuis peu, sa tendance au secret avait encore gagné en épaisseur; de même que sa garde-robe, toujours plus austère. Toujours vêtu de noir, arpentant les couloirs à la nuit tombée, passant les nuits de pleine lune enfermé en bibliothèque, il inspirait encore un peu moins confiance à ses collègues, effrayants certaines des dernières années et terrorisant les premières. De plus, même si Archibald était peu enclin à écouter les commérages, il avait appris par l'un de ses confrères que le professeur de sortilèges se faisait de plus en plus exigeant et qu'il ne faisait plus cours qu'à de rares étudiants. D'ailleurs, et cela provoquait de plus en plus de rumeurs, ces étudiants dits "privilégiés" ne s'habillant plus qu'en noir, comme leur mentor. - Tous sont très secret sur ce qu'ils font en cours, lui avait expliqué Félipy, professeur spécialisée en Magie de la Glace, au cours du déjeuner. Et tous vénèrent Rozgor comme un dieu. Maître, loin de moi l'idée de vous dire ce que vous devez faire mais je crois qu'il serait bon de vous entretenir avec notre confrère. - Il semble, en effet, avait approuvé le vieux magicien. Comme sa jeune consoeur avait gardé le silence, Archibald avait poursuivi : - Vous ne me dites pas tout, jeune Dame, qu'avez-vous appris d'autre ? Rougissant, Félipy baissa la tête, ce qui fit chuter de son chapeau aux reflets d'argent de longues mèches rousses et bouclées. - Il se murmure que l'une des étudiantes de Rozgor admire un peu trop son professeur. - Qui est ? - Dhéjiane, Maître. Et que cela semble réciproque. Archibald visualisa rapidement qui était cette étudiante. Jeune femme venue d'un village proche de Paraphe c'était une jolie brunette plutôt douée avec la magie de l'Air; elle avait eu un cursus plutôt classique au sein de l'Académie jusqu'à ce que Rozgor face pour sa promotion un cours en tant que professeur remplaçant. Dès lors, la jeune femme avait été conquise par le charme sombre de l'enseignant de sortilèges; elle avait alors demandé à faire des modifications dans ses cours afin de pouvoir suivre un enseignement plus général sur les sortilèges. - Une perte, avait lourdement soupiré Bréna, chargée d'enseigner la Magie de l'Air. Depuis, Dhéjiane suivait avec assiduité les cours de sortilèges et, elle ne cachait pas qu'elle était troublée par la présence de son professeur. Seul à son bureau, tous ces évènements maintenant bien clairs dans sa mémoire, le directeur de l'Académie dit à voix haute : - Je crois qu'il est en effet grand temps d'avoir une discussion avec ce jeune professeur. La réputation de l'Académie était sans reproche. On ne pouvait laisser s'installer des rumeurs d'une liaison ente un enseignant et une élève. Le soir même, Rozgor se présenta à l'office d'Archibald. Alors que bien des enseignants auraient été mal à l'aise d'être convoqué par leur directeur, le jeune homme arriva en affichant une décontraction presque malvenue. Il s'inclina avec respect devant le vieil homme. - Maître, en quoi puis-je vous être agréable ? Cette simple phrase transpirait tant l'hypocrisie qu'Archibald grinça des dents. - J'aimerai que nous mettions au clair certaines choses Rozgor. Il y a des rumeurs. - Quel genre de rumeur ? demanda le professeur de sortilèges. Il semblait presque mal à l'aise. - D'après ce qui se dit dans les couloirs, vous êtes un peu trop proche d'une de vos étudiantes, une jeune femme nommée Dhéjiane. Il va de soi, mon ami, pour des raisons évidentes de bonne conduite, qu'il serait bon de faire taire ses rumeurs. - Maître, je n'oserai pas ! s'écria Rozgor. Il est vrai que la jeune femme a du potentiel et qu'elle a eu besoin de conseils à de nombreuses reprises lorsqu'elle a intégré mes cours. Je l'ai aidée en cours du soir mais jamais je n'aurais cru qu'il aurait découlé de ce temps de travail de telles idées. Peut-être la jeune femme s'est-elle méprise sur ma conduite et mon attention à sa personne ? Je saurai remettre les choses au clair. - Bien, voilà une bonne chose, approuva Archibald. Il y a aussi une autre chose dont j'aimerai m'entretenir avec vous. - Oui Maître ? - Il s'agit du contenu des cours que vous dispensez à vos élèves de Septième et Huitième année. Il se dit que vous avez interdit à vos étudiants de parler de ce que vous faites en classe. Or, comme vous le savez, le secret entraîne la suspicion. - Encore une fois, Maître, je suis désolé. Le contenu de mes cours n'a rien de secret : avec ce petit groupe d'étudiants, nous travaillons à l'élaboration de nouveaux sorts de soin. Nos avancées sont prometteuses mais je préfère ne rien dévoiler de peur qu'au bout du compte, nos recherches n'aboutissent pas. Son air affligé le rendait presque crédible mais rien n'y faisait : plus les minutes passaient, plus Archibald trouvait que les explications de son jeune confrère sonnaient creux. - Vous pouvez disposer, Rozgor. Et je compte sur vous pour mettre un terme à ces commérages. - Soyez assuré de ma vigilance, Maître. - Bien. Comme le directeur de l'Académie le raccompagnait à l'entrée de son office, il ajouta : - Ah oui, une dernière chose. - Oui Maître ? - Changez la couleur de vos robes, le noir ne vous va pas. - J'y réfléchirais, Maître. Bonne nuit à vous. - Bonne nuit, Rozgor. Une fois seul, le vieux sorcier resta un long moment à penser à cet entretien. Il se tramait quelque chose : Rozgor n'avait pas le profil de celui qui se met en quête du savoir pour le savoir. Il était temps qu'Archibald suive ses recherches de près. Tandis qu'il gagnait sa chambre pour prendre du repos, une petite voix résonna dans sa tête, comme une mise en garde : - En espérant qu'il ne soit pas trop tard.

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