Sœurs cosmiques
Il était une. Et puis une autre. La première née à la tombée de la nuit. La seconde au lever du soleil. Il est des pays, tout au Nord, où cela est possible. Elles étaient seules et se suffisaient. L’une contre l’autre, elles se tenaient chaud. Se réconfortaient. Apprivoisaient la vie. Hélas, hélas, ni le monde, ni les contes ne sont faits pour que les choses aillent droit.
On en prit une par là et l’autre par ici.
Les fillettes furent séparées. Deux enfants, c’est bien trop difficile à caser. Deux couples de parents reçurent chacun une enfançonne. Ils les aimèrent à leur façon. Les élevèrent. Les accompagnèrent à l’âge adulte. Aucune ne savait de l’autre.
La première, fut consacrée fille de la nuit. À la lueur de la lune, elle officiait. Tirait les oracles. Consolait les gens. Protégeait les faibles. Elle était passée maître dans l’art des filtres et des onguents. Mais plus que tout, son influence s’exerçait par les bougies. Elle les façonnait. Les sculptait. Les parfumait. Elle en avait un plein coffre. Et quand on la sollicitait pour un bienfait, une guérison, un désenvoûtement ou même un besoin de réconfort, elle en choisissait une avec soin, la sentait, la soupesait, lui parlait parfois. Et l’allumait en chantonnant. Tant qu’elle se consumait, elle ne la quittait pas. Profitant de ses effluves. Concentrée sur ses pensées. Et cela marchait. On l’appelait de loin pour ses talents.
La seconde, devint fille de la lumière. Le soleil était son guide. Elle se nourrissait de ses rayons et en retour, éclairait ceux qui la croisaient. Elle resplendissait, la belle. Faisait le bien autour d’elle. Rien qu’en la voyant, ceux qui avaient le cœur en berne se remettaient à sourire. Elle irradiait la chaleur et la répandait. À ceux qui en avaient envie – et ils étaient nombreux à en vouloir –, elle racontait des histoires. Lisait des livres. Partageait des contes. Ses mots pansaient les maux. On traversait les terres pour ses conseils, pour ses partages. On venait de l’autre côté du monde, parfois. Du côté de la pénombre où vivait sa jumelle.
Elles n’avaient bien sûr pas le moindre souvenir de s’être connues. Comment auraient-elles pu ? Elles étaient restées si peu de temps ensemble. Si peu, mais suffisamment. Leur lien était indéfectible. Deux faces de la même médaille. L’envers et l’endroit. Elles vivaient de concert. Riaient ensemble. Se levaient en même temps. Se couchaient au même moment.
On entend souvent dire que sur terre chacun a un double, une âme sœur. Un autre soi. Certains le trouvent : ami, amant, partenaire. D’autres passent leurs vies en quêtes. Les nôtres se sentaient doubles depuis toujours. Comme si, aussi loin que remontaient leurs souvenirs, une sœur invisible vivait dans leur ombre. Une sœur à qui parler. Un ange gardien derrière l’épaule qui apaise les peines et décuple les joies.
Peut-être attendez-vous une fin douce qui réunirait les deux femmes. Les contes de fées finissent de la sorte en général. Pour moi aussi, elle aurait été agréable à écrire. Il est apaisant de finir les histoires en beauté de faire du bien à ses personnages. Mais ce serait ne pas tenir compte du réel. Des personnes naissent porteuses d’une destinée. À elles de l’accomplir, le monde en a besoin. Nos deux belles sont de celles-là. Elles seront bienfaitrices de leur état, l’une pour le jour, l’autre pour la nuit. Jumelles cosmiques. Petites gouttes de lumières dans l’équilibre de l’humanité.